vendredi 9 décembre 2011


De l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti
Comment revendiquer notre contribution à la modernité
4ème part
Prince Guetjens
Critique d’art
JJanus de Jean Yves Jason
     Tout le problème semble se résumer à travers cette courte  mais profonde interrogation. D’autant plus profonde qu’elle explique les conditions d’apparition de ce fossé créé entre plusieurs groupes de personnes au sein d’une même société en fonction de leur nuance épidermique ou de leur appartenance sociale.
     Cette approche exclusive née de l’équation mentionnée plus haut : Blanc = Colon = Riche = Chrétien = Civilisé = Européen opposée à  Noir = Esclave = Pauvre = Vodouisan = Sauvage constitue les parois du moule que nous devrions casser pour en construire un autre qui tiendrait compte de la volonté de politique d’un groupe de dirigeants de conduire le pays vers le développement.
   Pour jeter le pont sur ce en quoi consiste cette contribution, faisons un tour dans la société coloniale pour mieux comprendre la dimension de la plaie qui ronge aujourd’hui encore notre corps social.
   Pour cerner la question de couleur et de classe dans toute sa complexité, il faudrait remonter les sentiers de l’histoire sociale et économique du pays. Dès sa fondation en tant que nation, au lendemain de la guerre de l’indépendance (1791-1804), la jeune république noire créée par des anciens esclaves noirs, des Taynos et des métis nés de l’union de mères esclaves et de pères blancs propriétaires, se retrouvait en proie à une série de problèmes restés aujourd’hui encore non résolus. À l’instar d’un pays en retard d’une discussion sérieuse entre ses fils, Haïti avance à pas de tortue sous le poids du lourd fardeau du sous-développement et des préjugés de couleur.
Jouda de Jean Yves Jason
    Dans ce jeu de mauvais goût où chacun fait de son mieux pour ne pas toucher aux sujets qui fâchent l’histoire politique, culturelle, sociale et économique du pays accuse un déficit somme toute considérable. Ainsi toutes les activités opérées dans cet environnement où les rapports sont ainsi définis demeurent faussées à la base. En de pareilles conditions, il s’avère plutôt risqué pour toute analyse de pouvoir cheminer en toute objectivité à travers ces digues de censure. Les rares tentatives de renverser les barrières sont heurtées à une froide indifférence, qui traduit un refus catégorique de s’ouvrir à un autre son de cloche.
   Les sociétés humaines sont plutôt attachées au passé et ont tendance à s’opposer aux innovations certes, mais il revient aux élites de mettre tout leur poids dans la balance pour changer les choses dans le bon sens au profit de la communauté. Le Nord et le Sud des USA durent s’affronter entre eux (guerre de sécession) pour permettre à la plus grande puissance militaire du monde actuel d’accéder à l’âge industriel. Cette résistance chez nous définit en quelque sorte la configuration des êtres et des choses dans notre espace social. Elle entame la moindre velléité de modifier les structures coloniales encore existantes.
    Malgré la spécificité propre d’Haïti dans la région des caraïbes. Elle ne pas moins l’histoire et la culture des peuples de la région. Les cultures qui commencent à participer au processus d’évolution de la zone – à partir du XVIIè siècle moment essentiel pour comprendre la caraïbe d’hier et d’aujourd’hui – sont organisées et intégrées dans un système économique. Il y a eu de très fortes migrations dans la zone en provenance d’Afrique et d’ailleurs « Les gens se déplacent parce qu’il existe une économie qui commande ces déplacements. Arrivés ici, ils eurent pour fonction de travailler et d’organiser la vie de la plantation » (Yolanda Wood 1995). Dans ce cadre nouveau, la situation caraïbéenne devenait plutôt complexe. Il a été introduit dans la zone une économie qui débouche sur une société de plantation. En ce sens on fit appel à des gens (nos grands-parents conduits en esclavage), capables de travailler et de faire fonctionner la machine.
    Ce n’est point par l’Espagne que la colonie de plantations fut introduite dans la caraïbe. Mais par des pays qui ont atteint un niveau de développement capitaliste plus avancé qu’elle comme la France, l’Angleterre, la Hollande. L’Espagne ne s’adaptera que bien plus tard. La plantation correspond donc à un moment de l’économie capitaliste. Elle établit des relations de commerce entre la métropole et les colonies antillaises. Ce rapport crée un circuit économique entre la production agricole et l’industrie. Aussi, les matières -premières pour une industrie qui se développe en Europe. D’où l’impossibilité d’un développement industriel dans notre région à cette époque.
Sans-titre # 1 de Jean Yves Jason
    Contrairement à la méthode utilisée en Argentine ou dans d’autres colonies de la région où il est question de colonie de peuplement, où l’économie capitaliste n’affichait pas une brutalité aussi exacerbée. Dans les colonies de plantation, le régime de travail est tourné vers une rentabilité illimitée, qui passe par une extrême rigueur dans ce système d’exploitation de l’homme par l’homme.
    Ce survol dans l’histoire de la région des caraïbes s’avérait indispensable pour corser ma thèse selon laquelle notre blocage au niveau du développement technique et humain prend racine dans l’histoire collective des peuples de la caraïbe vers cette époque. D’où l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti afin de réintroduire chez nos enfants le sentiment d’appartenance qui nous fait défaut depuis quelque temps, condition essentielle pour une réévaluation - promotion de l’homme Haïtien. Ceci n’est possible que par le biais de l’Ecole. Une Ecole rénovée, réadaptée conçue pour former des Haïtiens.
    Il ne fait pas de doute que la contribution haïtienne à la modernité est énorme. Cette question qui est souvent abordée par les intellectuels et les universitaires du monde entier n’est pourtant pas à l’ordre du jour dans les milieux locaux. Notre situation aujourd’hui ne devrait pas introduire chez nous une gêne de dire qui nous sommes et ce que nous avions fait jusqu’ici. Bien au contraire, elle devrait pouvoir servir de prétexte pour inciter à rectifier le tir et prendre la bonne direction.

De l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti
L’un des rares denrées encore exploitables au profit de la Nation
3è partie

Prince Guetjens
Critique d’art                                                                               Haïti Liberté NY, 30 Nov. 2011
Vèvè Legba
    Dans la conclusion du second moment de ce papier consacré à l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti, j’ai démontré avec force détails que l’un des éléments clefs dont la culture participe à l’élaboration est, sans coup férir, la mentalité, qui à son tour, se charge d’informer les différents paramètres comme ; les habitudes, les coutumes, les idées et les valeurs. J’ai aussi rappelé pourquoi le capital humain premier est  la culture.
   Ce n’est pas juste la culture au premier degré, mais plutôt ce qui constitue l’essence du vécu d’un peuple, pris en charge par des élites oeuvrant à l’émancipation et la valorisation d’une identité nationale et culturelle forte. Dans le cas bien précis du peuple haïtien, il est prépondérant, compte tenu des circonstances originales de sa fondation, de prendre en compte ce qui fait sa complexité.
     Pour cela nous allons devoir interroger la conjoncture géopolitique de la région de la Caraïbe au cours du XVIIIe siècle. C’est sans doute à partir de là que nous pourrions tenter de trouver des éléments de réponses à la question : Comment exister en tant qu’Haïti aujourd’hui, sans pouvoir revendiquer la contribution d’Haïti à la modernité ?
   L’histoire de la cruauté de la servitude noire dans la région caraïbéenne et particulièrement dans la portion occidentale de l’île pour justifier la primauté de l’économique, puis la révolte victorieuse des opprimés et leur opiniâtre volonté de constituer une nationalité à leur image dont la défense leur paraissaient impliquer la totale mise à l’écart de l’ancien colon
   L’événement à la base, de cette révolution d’esclaves jamais perpétrée avant dans l’histoire de l’humanité, se réalisa le 6 décembre 1492, date tragique qui marqua l’entrée des Haïtiens dans l’histoire. Disons plutôt date impie qui consacra la dépossession des Taynos et annonça simultanément leur le début du premier génocide d’un Etat Européen en Amérique.
Vèvè Grann Brijit
    Pourtant ce nouveau moyen de s’enrichir au détriment de l’autre connaîtra son apogée au tournant du siècle des Lumières quand le type colonie de peuplement institué par l’Espagne, un pays féodal au moment où il a colonisé l’Amérique sera remplacé par la colonie de plantations par la France et l’Angleterre qui disposaient de moyens et de technologies adéquats pour faire venir dans la région de nouveaux moyens de production.
     Dans son ouvrage sur l’Histoire de l’art de la Caraïbe le docteur Yolanda Wood pose le principe de la nécessité de regarder l’histoire de la région à travers notre propre lentille idéologique, pour éviter de participer à la consolidation de la volonté de l’ancien esclavagiste de garder son hégémonie sur les peuples de cette partie du monde. Cette démarche entreprise plusieurs décennies plus tôt par des  intellectuels comme Alejo Carpentier, Jacques Stephen Alexis, Thomas Guillén, pour construire une base de connaissances à partir de la région est consolidée sur le plan artistique et historique par le travail de ce chercheur émérite.
    La force de travail gratuite (les hommes et les femmes ramassés sur les côtes d’Afrique de l’Ouest) versée par les nouveaux maîtres dans la région pour rendre opérant le passage du système de peuplement au système de Plantation vont créer une polarisation qui influence aujourd’hui encore les anciennes colonies, en particulier Haïti.
    L’équation, : Blanc = maître = riche = civilisé = chrétien = européen opposée à Noir = esclave = pauvre = sauvage = vodouïsan = africain, née de l’exploitation de l’époque influence aujourd’hui encore le vécu au sein de la société haïtienne. C’est si vrai que dans la mentalité des gens, il paraît un parfois douteux que des petits-fils de nouveaux libres puissent disposer de certaines richesses. Ce qui n’est pas le cas pour les descendants des anciens libres en Haïti.

    J’ai sans doute erré un peu à travers ces différents couloirs de l’histoire, en essayant d’identifier l’obstacle qui nous empêche d’accéder à ce sursaut de fierté et d’auto appréciation indispensable à la mise en exergue de nos valeurs. Mais, il m’a semblé que ce détour n’était pas de trop pour mieux avancer vers l’objectif défini au début, dans les premières lignes de cet article aux ambitions démesurées.

mercredi 23 novembre 2011

De l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti
L’un des rares denrées encore exploitables au profit de la nation
2è partie
Prince Guetjens
Ctitique d’art
                                                                                 Haïti Liberté NY, 23 Nov. 2011
Vèvè de Grann Brijit
Comme j’ai eu à le mentionner dans la première partie     de cet article, aujourd’hui, plus que jamais, nous sommes condamnés à avoir les coudées franches, ne serait-ce que pour sauver les meubles. Si nous voulons effectivement tirer le pays de l’impasse où il gît depuis plusieurs décennies, il est important de l’empêcher de sombrer totalement au cours de ces cinq prochaines années.
 Malgré la désapprobation et la colère, qui caractérisent les moindres de prises de position du monde intellectuel haïtien comme, c’est le cas, pour certains technocrates et professionnels, à l’avènement du nouveau président de la république, leurs « conseils, suggestions et connaissances » ne seront pas moins nécessaires à la sauvegarde de ce coin de terre qui est encore « nôtre ».
Il n’y a pas beaucoup d’alternatives pour une renaissance effective d’Haïti en dehors du retour aux sources prôné par Jean Price Mars dans Ainsi Parla l’Oncle actualisé, qui devrait bifurquer par une réappropriation de l’École par le peuple, dans l’optique de former des citoyens pour habiter, construire et aimer ce pays. Je parle surtout d’un retour sur les idées force d’avant 1806 qui préconisaient une Haïti pour tous les haïtiens sans distinction de couleur ou de classe. Le Ministère de la Culture et de la Communication est, de mon point de vue, l’outil idéal pour mener à bien ce rêve de refondation de la Nation.
Au cours de ces trente dernières années nous avions constaté l’échec du projet républicain des anciens libres de construire un pays dans les limites des grandes villes, particulièrement à  Port-au-Prince, en gardant les nouveaux libres (paysans et masses) dans ce qu’ils appellent péjorativement l’arrière-pays (l’en-dehors). Tous les services publics comme : l’Université, les hôpitaux, les impôts, l’immigration et autres étant confinés à la capitale, les habitants de toutes les régions du pays sont astreints à s’y rendre pour avoir ces services. C’est ce qui explique en partie qu’il y ait autant de morts lors de la catastrophe.
Cette démarche fondée sur l’exclusion a rendu définitivement l’âme, le jour où les paysans ont décidé à l’instigation de certains politiques de prendre d’assaut la capitale. Jusqu’au 12 janvier 2010 encore, chaque quartier résidentiel était ceinturé d’un ou plusieurs bidonvilles, aguerris, impatients, comme des hordes de combattants attendant un quelconque ordre pour passer à l’attaque.
Le rôle de la Culture étant de réconcilier un peuple avec lui-même, aujourd’hui nous devrions nous en servir pour tenter d’évacuer les préjugés que l’École dirigée par l’église depuis plus de 206 ans nous a inculqués, de colmater les fissures créées par l’usage de la langue française, utilisés par les élites davantage comme arme de  domination que comme moyen de communication.
Bain de Louverture Poisson
Ce comportement d’une classe sociale par rapport au reste du pays qui au fond est une séquelle de la longue période coloniale constitue l’un des obstacles infranchissables vers le développement du pays. Nos valeurs artistiques par le seul fait qu’elles s’inspirent de la culture de la majorité des haïtiens n’ont aucune importance aux yeux des élites, qui veulent mériter de l’appréciation des anciens esclavagistes du monde occidental.
 En cassant cette moule qui nous a appris le mépris de nos valeurs ancestrales, la honte de nos parents et de leur religion, le rejet de notre histoire, de nos héros, de nos mythes et de tout ce qui fait notre identité, nous pourrions revenir à nos habitus, condition sine qua non pour ne pas disparaître comme nation. Le reniement de sa culture est la première étape dans le processus de désintégration d’une communauté. C’est pourquoi en chaque société, elle est protégée, nourrie, entretenue, régénérée.
Pour avoir trop souvent confondu - réduit la culture à la seule expression de l’art, de l’artisanat et de la religion, qu’elle englobe avec d’autres disciplines en réalité, certaines gens ne pourront se retenir en lisant d’interroger à cause du contenu, le fait qu’un pareil article soit publié dans la page culturelle. Ainsi ils auront ignoré que l’homo sapiens ne s’accomplit en être pleinement humain que par et dans la culture. S’il y a des pré-cultures dans le monde animal, la culture, comportant un langage à double articulation, la présence de mythe, le développement des techniques, est proprement humaine (Edgar Morin).
L’un des éléments clefs dont la culture participe à l’élaboration est sans conteste la mentalité, qui se charge d’informer les différents paramètres telles les habitudes, les coutumes, les idées et les valeurs. Ce n’est pas un hasard si le capital humain premier est la culture. J’ai pris ce raccourci pour vous dire l’intérêt d’investir dans la promotion de ce denrée rare qui, à la fois, nous valorise et nous différencie par rapport aux autres peuples.


De l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti
L’un des rares denrées encore exploitables au profit de la nation

Prince Guetjens
Critique d’art
                                                                          Haïti Liberté NY, 16 Nov. 2011
Dambalah d'André Pierre
   Il ne fait pas de doute qu’Haïti représente aujourd’hui un trésor convoité par les grandes puissances, tant pour ses nombreuses ressources naturelles, culturelles et minières encore inexploitées, que pour la situation géopolitique qu’elle occupe dans la région des Caraïbes. Cette ambition longtemps dissimulée a connu une résurgence sans précédent au cours de ces deux dernières décennies et particulièrement au lendemain de la catastrophe du 12 Janvier 2010.
  Si les ressources minières exigent, une technologie et des investissements considérables pour être exploité - des moyens dont le pays ne peut pratiquement pas disposer aujourd’hui - pour des raisons que personne n’ignore. Ce n’est pas le cas, en ce qui a trait à la Culture. Mais, force est de souligner que depuis la fondation du ministère haïtien de la Culture, aucun gouvernement n’ait encore compris la nécessité ou même l’urgence de renforcer les capacités d’une pareille institution, en vue de mieux appréhender la problématique actuelle de l’Haïtien, qui pourrait se résumer ainsi : Comment exister sans pouvoir revendiquer la contribution d’Haïti, aujourd’hui, à la modernité ?
   Certains doivent se dire en lisant ce papier, qu’est-ce qu’il va chercher dans la modernité alors qu’on n’est même plus en mesure de se nourrir, ou même de bien choisir nos dirigeants ? Ils n’auraient pas tout à fait tort de réfléchir ainsi, mais souvent la réponse aux questions ne se trouve pas toujours là où on suppose.
   Les « spécialistes » d’Haïti ont beau travailler sur le cas, mais à chaque fois leurs solutions enfoncent davantage le pays dans l’incertitude. Et si pour une fois, on essayait la solution culturelle. Bon ! le moment est peut-être mal choisi pour « adresser » une pareille question. En tout cas, pas à l’attention d’un gouvernement qui affiche autant de mépris pour ce ministère, au point de l’avoir livré à ceux-là même qui ont poussé le pays dans cette impasse.
Vèvè d'Ayizan
   L’histoire de l’humanité est là pour le prouver s’il en était besoin, qu’aucun peuple ne peut franchir les frontières du progrès, qu’elles soient humaines ou techniques, en-dehors du principe de l’appréciation de soi. Cette appréciation fondée sur son histoire ne peut être accessible et efficace qu’à travers une école qui prend sa source dans la culture de ce peuple. Donc, l’une des premières actions à poser dans l’objectif d’une renaissance haïtienne serait le rapatriement de l’École haïtienne.
   Tant vaut l’école tant vaut la nation, disait l’autre. Le résultat de l’école haïtienne après deux cents ans, sous le contrôle de l’église ne devrait pas étonner, quand nous tenons compte du rôle central de cette institution dans la consolidation de l’esclavage. Ne soyez pas choqués de constater que très peu d’intellectuels, de technocrates ou de politiques haïtiens puissent tenir pareils propos, parce que plus longtemps on a été à cette école, plus on devient esclave, docile et réceptif.
   Mais parallèlement à cela, l’Occident dispose d’atouts convainquant comme : prix littéraires, résidences, bourses d’études, promesses d’accéder au pouvoir et autres fatrasies pour tenir en respect, la catégorie d’haïtiens la mieux équipée à faire face. Certaines fois, ils se dénigrent sans en avoir conscience. Ce n’est pas un hasard, s’ils sont en majorité Louverturien et détestent Dessalines ; le père de la nation, comme c’est le cas de l’ancien maître.
   Si l’on tient compte du fait que la culture est constituée par l’ensemble des habitudes, coutumes, pratiques, savoir-faire, stratégies, interdits, normes, règles, savoirs, mythes, valeurs, idées, croyances qui se perpétuent de génération en génération, se reproduit en chaque individu, génère et régénère la complexité sociale 1 : elle est donc l’outil tout désigné pour concrétiser ce rêve. Il est prouvé que l’être humain serait un primat du plus bas rang à cause des ses instabilités, ses interférences et ses oppositions internes si la Culture n’avait pas le pouvoir de colmater les brèches et de remplir un vide souvent laissé par la juvénilisation et l’inachèvement biologiques.




Vèvè de Legba
   En mettant à profit les organismes autonomes dépendant du ministère de la Culture et de la communication, le travail de remodelage de l’homme Haïtien, dans la mesure qu’il soit inscrit comme une priorité bénéficiant de la volonté politique de l’Etat, est encore possible. Chacune de ces institutions créée, au cours des derniers jours de la dictature des Duvalier, peut jouer un rôle important dans cette mission de refondation de la nation. Il suffit de les passer en revue pour se rendre à l’évidence.
   Aujourd’hui, plus que jamais, malgré le climat de discorde qui règne dans le pays, nous sommes appelés à avoir les coudées franches pour ne pas perdre définitivement cette terre que nous a léguée nos ancêtres. S’il est vrai qu’une autre Haïti est possible, pour reprendre notre ami Jean Yves Jason, il faudra aussi des fils et des filles dignes de ce nom pour la reconstruire, chérir et l’habiter en toute dignité. Pour cela, il n’y a d’autres issues que de casser la moule qui pourvoit au renouvellement du corps social. Il faut enfin une École haïtienne pour former des citoyens Haïtiens.

mercredi 16 novembre 2011

Regards Critiques

Les danses folkloriques haïtiennes
Entre l’art et la religion, le malentendu persiste

Prince Guetjens
Critique                                                                            Haïti Liberté NY 15 Nov 2011
Le Ballet Folklorique Tambloula d'Haïti à New York
     Née d’une approche éclose à la lumière d’une démarche, qui a permis aux danses folkloriques haïtiennes de bénéficier d’une certaine visibilité dans les milieux artistiques internationaux au cours des années cinquante. La tendance à confondre les danses folkloriques à la religion vodou est devenue au cours des décennies, de plus en plus difficiles à transcender. Sans trop comprendre les implications, les prophètes de cet évangile enfoncent de plus en plus, chaque jour, cette forme d’expression artistique dans un bourbier qui lui empêche de s’épanouir. On n’est pas sorti, plusieurs millénaires après l’homme de Brno, du malentendu préhistorique qui confond l’art et la religion.
     Les décennies trente et quarante sont sans conteste l’une des plus glorieuses périodes qu’Haïti ait connue au cours de son existence parfois bouleversée. C’est aussi l’époque où la première République noire indépendante du nouveau monde allait faire une seconde percée sur le plan international ; cette fois sur le plan artistique. En 1943, Antalcidas Murat arrive dans le Jazz des Jeunes, en 1945 la peinture populaire haïtienne s’impose au Centre d’Art Haïtien et une année après, Dumarsais Estimé arrive à la magistrature suprême. Le pays va alors connaître des avancées considérables sur le plan de l’amélioration de son image et de sa perception.
      Dans cette euphorie, le monde et plus particulièrement les réseaux artistiques d’Amérique du Nord avaient les yeux rivés sur le pays de Caonabo et de Mackandal. C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender les visites répétées des artistes, des anthropologues, des intellectuels, des politiques et d’autres catégories sociaux venus de par le monde. La célèbre danseuse Katherine Dunham, jeune anthropologue issue de l’Université de Chicago n’a pas pu résister à la fièvre de l’heure, c’est ainsi qu’elle se rendit dans le pays quelques années plus tôt (1935-36), pour tenter de comprendre les danses traditionnelles haïtiennes et le vodou en tant que culture. Elle en a fait d’ailleurs le sujet de sa thèse de maîtrise « Dances of Haiti ».
Une Danseuse de la Troupe Bacoulou
       On ne finira jamais de saluer son passage dans les milieux vodou de la paysannerie haïtienne, grâce auquel la danse folklorique haïtienne aura pignon sur rue un peu partout en Occident. Mais, force est de reconnaître aussi, que c’est de-là qu’est née, cette facilité, à confondre la danse folklorique à la religion vodou.
       Ce qu’il faut comprendre dans cette étude c’est le fait qu’il s’agit d’une danseuse noire américaine, anthropologue de formation qui s’est intéressée au vodou et aux danses traditionnelles haïtiennes. Le pourcentage de chance pour ses travaux de ne pas pencher d’un côté ou de l’autre était quasiment minime.
        Pourtant, il y a eu d’autres études pour le moins remarquables, entrepris par d’éminents chercheurs haïtiens, telles : Notes sur le Folklore Haïtien d’Emmanuel C. Paul, Les Danses Folkloriques Haïtiennes de Lamartinière Honorat (1946), Quelques Mœurs et Coutumes de Jean Baptiste Roumain, Michel Aubourg, Léonce Viaud, Manuel de la Négritude de René Piquion (1961).
        Cette conception du monde, inspirée de  l’indigénisme et particulièrement du courant les Griots, a orienté l’approche du réel de la génération d’alors vers des études folkloriques et ethnologiques, à travers la lentille ethnographique soumise par l’Oncle, je fais allusion au Dr. Jean Price Mars. Dans cette foulée, on ne peut passer sous silence, un esprit atypique, laborieux comme Carl Brouard, considéré comme le chef de file du mouvement les Griots qui a eu à dire :  « Nous remîmes en l’honneur l’assôtor et l’arçon / Nos regards nostalgiques se dirigèrent vers l’Afrique douloureuse et maternelle… ».
       Plusieurs décennies durant, l’art haïtien sera présenté sur ce plateau culturel, ce qui est tout à fait juste. Mais par moments certains regards le feront glisser au-delà des frontières d’avec la religion. À ce moment-là, l’art en tant que mode d’expression se fond dans un corpus religieux, se voit obligé de respecter ses normes et ses exigences parfois dogmatiques.
         Les danses folkloriques haïtiennes en tant que moyens d’expression, nés de la capacité de mouvoir le corps humain, constitué d’une suite de mouvements ordonnés, souvent rythmés par la musique (chant ou instrument), tout en représentant l’ensemble des productions du peuple et se transmettant d’une génération à l’autre. Ce champ de création tomberait de son piédestal pour être réduit à s’occuper d’une nature supérieure qu’on appelle divine et de lui rendre un culte dans une relation entre l’humanité et Dieu.
La Compagnie Artcho Dance
     Dans sa mission d’exprimer le vécu populaire les danses folkloriques haïtiennes s’appuient grandement sur beaucoup de rythmes puisés dans le patrimoine vodou comme : l’Ibo ; rythme des esclaves, le Nago ; celui de la guerre, le Parigol ; l’imitation des vagues de la mer, le Yanvalou : rituel de Danballah et d’Aïda Wèdo, par exemple. Mais il y a d’autres rythmes utilisés sous les chorégraphies comme : L’Affranchi ; rappelant la période coloniale des nouveaux libres, le Chica ; une danse espagnole, ou le Menuet ; une danse coloniale française, pour ne citer que ceux-là, qui ne sont pas forcément de souche vodou.
         La confusion dans la définition des danses folkloriques haïtiennes est si profonde que, la plupart des danseurs, ceux qui ne disposent pas d’une formation théorique adéquate dans ce domaine croit de bon ton de se faire Hougan pour avoir plus d’aura dans ce métier. Il en résulte que, dans les écoles où ils enseignent ici aux Etats Unis d’Amérique, au Canada et ailleurs, leurs élèves croient dur comme fer qu’il n’existe pas de paroi étanche entre le vodou et les danses folkloriques haïtiennes. Ce qui est dommage.
Plus dommage encore c’est la démission totale, depuis nombre d’années du ministère haïtien de la culture à encadrer l’art, en particulier ce qui reste encore comme noyau au niveau des danses folkloriques au niveau du pays et ailleurs.
Je ne peux terminer ce papier sans mentionner la contribution d’institutions et de personnalités qui ont permis à nos danses d’être exposées de par le monde. Je pourrais citer : la Troupe Bakoulou d’Odette Wiener, Sourire d’Haïti de Rose Marie Kernizant dans un premier temps. Et ensuite : Ballet Folklorique Tamboula d’Haïti de Péniel Guerrier, Haïti Tchaka Danse de Christine Dupuy, Ballet Folklorique d’Haïti de Nicole Lumarque, ArtCho Dance de Jean René Delsoin et Jean Guy Saintus, Institut de Danse Lynn William Rouzier, Bazilik Kreyòl de Jean Evans Cadet, l’Ecole de Danse Vivianne Gauthier, pour ne citer que les plus importants.

mardi 1 novembre 2011

Regards Critiques

Ministère haïtien de la Culture
De la nécessité de renforcer ce secteur trop longtemps négligé

Prince Guetjens
Critique d’art                                                         Haiti Liberté New York 2 nov. 2011
     
L'Écrivain-Plasticien Frankétienne
    Malgré le caractère stratégique d’une institution d’Etat aussi prestigieuse que le ministère haïtien de la culture, les gouvernements successifs en ont toujours fait un fourre-tout, où des protégés souvent inaptes du président de la République, ou tout simplement des représentants de l’opposition sont régulièrement casés – à l’issue de la séparation du gâteau - sans devoir de résultat.
      L’arrivée de Choiseul Henriquez à la tête de ce ministère dans le gouvernement dirigé par Garry Conille est à ranger dans l’un des deux paniers. À Port-au-Prince, il n’est un secret pour personne que l’actuel ministre, qui vivait en terre étrangère, a fait plusieurs fois le voyage vers Haïti dans l’espoir d’être nommé à ce poste par son ami le président René Préval dont il était le responsable du bureau de presse (1996-2001). Mais à chaque fois, l’autre refusait de signe l’arrêté présidentiel. Selon toute vraisemblance, cette fois il se retrouve bénéficiaire d’un acte de reconnaissance envers le régime déchu pour service rendu. Est-ce nécessaire de chercher à savoir pourquoi René Préval ne voulait pas de lui comme ministre sous sa propre administration ?
Marie Laurence J. Lassègue
     Après le règne de la toute-puissante Marie Laurence Jocelyn Lassègue, qui malgré ses pétarades ne comprend pas grand-chose à la culture, ce ministère aurait besoin d’un homme ou d’une  femme coulée dans le moule de ce secteur, pour tenter de sauver les meubles. Au cours des ces trois dernières années, le cabinet du ministre de la culture était devenu une mangeoire pour des gens, qui pour la plupart ne répondaient d’aucun lieu et ne disposaient d’aucun cursus dans ce domaine. En dehors des faveurs octroyées à des petits copains ou petites copines, cette institution n’a pratiquement rien entrepris. Il en résulte que le secteur culturel a sévèrement été sanctionné par ce choix.
L'Écrivaine Lilas Desquiron
     Aujourd’hui, sommes-nous en présence d’une forme de continuité qui ne dit pas son nom ? Le président de la république a-t-il laissé légué ce poste au parti Unité comme on jette une miette à un ami embarrassant, de qui l’on attend rien de fructueux ? Ce sont autant de questions agitées dans les milieux artistiques, littéraires, culturels du pays. Il faut rappeler que dans ce secteur comme dans d’autres, le pays dispose de suffisamment de valeurs aptes à remettre de l’ordre dans les choses. Mais à chaque fois, la politique partisane prend le pas sur les intérêts primordiaux de la nation.
L'Architecte-Plasticien Daniel Elie
     La nouvelle équipe gouvernementale a opéré des changements au sein de l’appareil culturel de l’Etat. Ce qui est tout à fait normal. Emmelie Prophète est remplacée par  Frantz Michel Carly à la Direction Nationale du Livre. À croire ce qu’elle vient de publier sur son mur facebook, c’est par la voix des ondes qu’elle aurait appris son éviction (ce qui nous rappelle la manière dont l’historien de l’art Voltaire Jean a été mis à la porte à la Télévision Nationale d’Haïti de son poste de coordonnateur culturel récemment, ainsi que Patrice Dumont, l’écrivain Garry Augustin et d’autres cadres). Les Presses Nationales, la Radio Nationale, la Bibliothèque Nationale ont aussi de nouveaux directeurs. D’autres institutions comme le MUPANAH, les Archives Nationales et particulièrement la Télévision Nationale d’Haïti où il y a eu des scandales (révocations illégales, persécutions de journalistes et autres dérives) figurent sur la liste des remaniements attendus dans l’immédiat.
    À quoi doit-on s’attendre d’un ministre de la culture qui n’a jamais rien produit dans ce domaine ? Devrait-on lui donner une chance tout en sachant qu’il n’a ni le savoir ni l’expérience pour réussir ? Il est vrai que le changement de cabinet ministèriel est pour bientôt, d’ici-là on va sans doute devoir continuer à subir et assister dans une impuissance active la valse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine.
L'Architecte Olsen J. Julien
     Comme je l’ai soutenu au début, le ministère de la culture est souvent considéré comme quantité négligeable dans le partage des postes ministériels. Mais, il faut le reconnaître, ce n’est pas le seul poste vu à travers cette lentille déformante, c’est aussi le cas pour le ministère de l’environnement et celui des affaires sociales. Compte tenu de l’importance de ces secteurs dans l’amélioration de la vie en Haïti, on est tenté de croire que la politique revêt une autre définition pour les décideurs haïtiens.
     Contrairement aux idées reçues et pour faire preuve de probité intellectuelle, nous devrions rappeler que, depuis la création de ce ministère-clef à côté des ignares qui y ont accédé, nombre d’intellectuels et de technocrates ont eu ce portefeuille. À l’image d’un André Malraux inaugurant le ministère français de la culture sous De Gaulle, l’écrivain Frankétienne est le premier récipiendaire du ministère de la culture haïtien sous la présidence de Lesly François Manigat, qui a fondé cette institution. D’autres compétences comme Lilas Desquiron sous la présidence de Jean Bertrand Aristide, ou Daniel Elie, Olson Jean Julien plus récemment ont aussi occupé ce poste.
     Il est à souhaiter qu’en dehors d’un plan de politique général pour Haïti incluant un volet pour la culture venant du gouvernement, l’actuel récipiendaire dispose au moins des notions de gestion compatibles à ce secteur plutôt en crise. Laquelle crise est aggravée par la démission de l’Etat au cours des ces trois dernières années.



         

lundi 24 octobre 2011

Regards Critiques

Citizen Kane d’Orson Welles
L’un des meilleurs films de tous les temps

Prince Guetjens
Critique de Cinéma                                        Haïti Liberté, New York 26 oct. 2011

Ces vingt derniers siècles ont vu l’émergence et la consolidation de différentes formes d’expressions artistiques avec leurs contingences de théories, de discours et d’oppositions. Vers la fin du dix-neuvième siècle, Daguerre et Niepce ont mis en place les premières structures pour la photographie moderne. C’est dans la même foulée qu’est né le Cinéma ; connu sous la dénomination de 7ème art, mais qui au fond, est l’unique médium capable de réunir tous les autres supports de création.
Dès le début du vingtième siècle, malgré les turbulences de toutes sortes, entre autres les deux grandes guerres, que traverse l’Europe particulièrement et ensuite le reste du monde, le Cinéma va quand même connaître des avancées extraordinaires. Et l’un des fleurons les plus représentatifs de cet art de création collectif  est à n’en point douter Citizen Kane.
Citizen Kane est un drame américain de 119 minutes en noir et blanc sorti pour la première fois aux USA le 1er mai 1941. En 2002, il est élu par 108 réalisateurs et 144 critiques de par le monde consultés par la revue britanniques Sight and Sound du British Film Institute, comme le meilleur film de tous les temps.
L’histoire retrace le parcours de Charles Foster Kane, qui meurt dans son manoir de Xanadu après avoir prononcé dans un ultime sursaut le mot Rosebud, en laissant ensuite échapper sa boule de noël. Alors qu’il fut encore un enfant, il dût quitter l’attention de sa mère ; héritière d’une mine d’or pour recevoir l’éducation d’un financier, en vue de pouvoir gérer sa fortune future. Devenu un grand patron de presse, le directeur du journal Inquirer épouse la nièce du président des USA et espère ainsi faire une carrière politique, qui s’interrompit au moment où on apprend qu’il trompe sa femme avec une cantatrice de seconde main. Sa femme demande et obtient le divorce et lui, il convole en justes noces avec la chanteuse qui finit par le quitter par la suite. Il finira ses jours dans la solitude.
De la première à la dernière scène du film le narrateur est pratiquement omniprésent, pour veiller aux grains et guider les spectateurs. Dès la pancarte portant l’inscription No Trepassing (Interdiction d’entrer), qui pourtant sera transgressée par la caméra d’Orson Welles en franchisant les grilles de Xanadu pour atteindre la fenêtre de Kane, et par un champ contre champ, contourne cette barrière de verre pour s’inviter dans la vie d’un Kane déjà mourrant. Nous retrouverons ce narrateur dans toute son adresse dans la conclusion le film, au moment où la caméra dessine des arabesques au milieu d’un univers fait d’objets écartés par Kane pour mettre en exergue une luge dont se saisit une personne de la maison pour la livrer aux flammes. A ce moment-là l’œil de la caméra aura le temps de se rapprocher de l’inscription Rosebud gravée sur le jouet que la chaleur des flammes va faire disparaître, au fur et à mesure, qu’il avait prononcé en mourrant.
Orson Welles utilise comme aucun autre réalisateur avant lui le flashback pour raconter l’histoire. Le flashback ; cet outil connu sous le nom d’analepse en langage technique, est un procédé d’inversion qui, dans la continuité narrative fait intervenir une scène s’étant déroulée préalablement à l’action en cours.Toute l’histoire est expliquée dans ce bar où la seconde épouse de Kane tente de noyer son chagrin dans des verres de vin.
Il utilise avec la même dextérité la technique appelée profondeur de champ. Dans la scène qui retrace un moment de l’enfance de Kane, la séquence débute avec des images du gamin en train de jouer dans la neige avec sa luge. Ensuite, un travelling arrière suggère que l’œil qui regarde se situe depuis l’intérieur de la maison. À partir de cet instant, les activités du jeune Kane sont observées en arrière plan, tandis que les adultes discutent de ses lendemains, et les deux plans sont nets et clairs.
Les Plongées - Contre-plongée sont également mises à caution dans la réalisation de ce film qui continue plus de soixante-dix ans après comme l’un des meilleurs films de toute l’histoire du cinéma. Dans des scènes comme ; la demande de mutation de Jedediah Leland (Joseph Cotten) à Kane après la débacle électorale, et celle de la mise en pièces de la chambre après le départ de Suzan (Dorothy Cormingore), la lecture n’aurait pas été aussi concise sans les plongées –contre-plongée comme manière de dire.
La réalisation conduite par Orson Welles bien qu’il s’est taillé le premier masculin (C.F. Kane), est exceptionnelle. Le jeu des acteurs parfait. La photographie, au-delà de toute ambition. La musique faite sur mesure. On dirait que les dieux se sont ligués pour réussir le film du 20ème siècle.
Malgré les ans Citizen Kane a gardé toute sa fraicheur. Il n’existe pas un seul véritable cinéaste à travers le monde qui n’ait pas vu ce classique qui a mis en exergue autant d’innovations cinématographiques. J’ai déjà vu ce film plus d’une dizaine de fois, mais je n’ai pas fini de le voir.
Citizen Kane d’orson Welles est un film à revoir indéfiniment.

mardi 18 octobre 2011

Regards Critiques

Donoma 
Le premier long-métrage de Djinn Carrenard
Edge Atlantic Films Festival de NYU 2011

Prince Guetjens
Critique Cinéma                                                                                      Haïti Liberté 19 oct 2011                                      
L'affiche de Donoma
Le cinéma, c’est le cas pour les autres disciplines artistiques, évolue dans une certaine autonomie – dépendance par rapport aux autres formes d’expression, avec ses normes, ses outils, sa tradition et ses codes. Cet espace de création qui paraît facile d’accès aux novices en quête d’argent rapide et de renommée locale n’est pas moins l’un des corps de métiers qui font de la perfection, l’un de leurs critères de base de la créativité. On ne fait pas du cinéma sans avoir vu beaucoup de bons films ou sans savoir ce que c’est exactement.
Donoma, c’est l’histoire croisée de la destinée de trois femmes se déroulant parallèlement dans des univers créés à partir des pans du réel, récupérés par l’artiste. Il y a d’abord l’histoire de Chris , une photographe n’ayant jamais eu de relation amoureuse et qui décide de faire une expérience ; celle de se mettre en couple avec le premier inconnu qu’elle aura rencontré dans le métro, en l’occurrence Dama. Et dans cette aventure il y aura une seule règle de vie commune : interdiction de parler. Ensuite, il y a l’histoire d’Analia, enseignante dans un lycée professionnel, constamment harcelée par Dalcio, l’idiot de la classe.
L’affrontement entre l’enseignante et l’élève va laisser place à une attirance physique qui débouchera sur une histoire passionnelle. Enfin, celle de Salma, une adolescente un peu atypique coincée par la maladie de sa sœur Soraya et des problèmes existentiels inhérents à une jeune femme de son âge. Elle se réveille un jour avec des stigmates du type christique aux poignets. Pourtant, elle ne croit pas en Dieu. On peut même dire qu’elle a un profond rejet pour la religion c’est pourquoi elle n’arrive pas à expliquer la présence de ces lignes mystérieuses. Elle croisera sur son chemin un jeune homme profondément croyant et pratiquant Rainé.
Mon premier constat en quittant la salle, après avoir visionné Donoma, c’est que le film ne laisse personne indifférent, encore même. Donoma, c’est en quelque sorte l’expression de l’audace et de la détermination d’un jeune directeur de film qui décide de tailler sa place dans un milieu et dans un genre artistique où l’expérience est donnée comme valeur indispensable. Le film a suscité un enthousiasme extraordinaire au sein d’un public, composé d’étudiants en partie, réuni à la salle de NYU (New York University) dans le cadre de ce festival en Eté dernier. À la manière des faits bruts, se déroulant de manière non linéaire dans la vie quotidienne, sans artifice, ni maquillage, le film est assumé comme une action juvénile, par moments incontrôlable.
de gauche à droite le réal Djinn, Emilia Derou et Salomé Blechman
Le réalisateur haïtien Djinn Carrenard a joué sur l’effet de l’ombre pour compartimenter les meilleurs aspects de son film. Par moments elle distille un peu de blues dans les histoires, sert de cloison entre les angles de vision, ou encore participe du contraste qui équilibre les pensées trop claires des personnages.
Dans ce premier long-métrage, il a placé la barre à une altitude – qu’à mon avis – il aura des difficultés à atteindre et évoluer au cours de la carrière qu’il vient d’inaugurer.
Donoma est le produit de l’ambition d’un jeune réalisateur haïtien Djinn Carrenard résidant en France, qui vient de réussir le pari de réaliser un long-métrage sans aucun moyen financier et de façon indépendante. Ce diplômé de l’école du cinéma n’est pas à son coup d’essai puisqu’en 2008, il réalise un court-métrage à New York « White Girl in her panty », et il filme l’enthousiasme américain entourant la candidature de Barack Obama. Porté par la ferveur que charrie le court succès de ce court-métrage, il rentre en France avec l’objectif de contourner les obstacles du système, et réaliser un long-métrage par ses propres moyens, c’est-à-dire presque rien cent cinquante (150.00) Euros.
En compagnie d’autres amis, il commença à travailler sur le projet BluePrintGuerilla, en reprenant l’expérience du groupe Guerilla film-maker, qui consistait pour des réalisateurs américains au cours des années’80 à tourner des films avec les moyens du bord, parfois inadéquats. C’est la preuve que même avec un maigre budget un réalisateur qui sait ce qu’il fait peut toujours sortir une œuvre de qualité.
Ce film réalisé en 2009 par Djinn Carrenard, avec la collaboration non rémunérée d’une équipe de comédiens, sans un rond, a mérité l’année d’après d’une vie en salle nocturne et sélectionné par le groupe L’ACID pour le festival de Cannes 2010.
L’expérience de Donoma devrait pousser le public haïtien à s’interroger sur un certain cinéma produit par des amateurs, sans métiers ni imagination, qui pousse à tous les coins de rue, un peu plus dans la diaspora de New York et de Florida qu’en Haïti, sans doute à cause des facilités technologiques. Aucun de ces navets n’a caressé la prétention de bénéficier d’une vraie salle et d’un auditoire ayant fait le déplacement pour le voir. C’est toujours étalé dans les bacs des revendeurs de seconde main à côté des autres objets de peu de valeur qu’on les retrouve au juste prix.
Nous souhaitons que d’autres Donoma viennent rehausser l’éclat du cinéma haïtien en terre étrangère ainsi qu’en Haïti. Ainsi à côté des Raoul Peck, des jack Rock, des Claude Mancuso, des Arnold Antonin, des Moïse Camille, des Richard Sénécal pour ne citer que les plus doués, d’autres réalisateurs comme Djinn Carrenard viendront enrichir notre patrimoine artistique.