mardi 18 octobre 2011

Regards Critiques

Donoma 
Le premier long-métrage de Djinn Carrenard
Edge Atlantic Films Festival de NYU 2011

Prince Guetjens
Critique Cinéma                                                                                      Haïti Liberté 19 oct 2011                                      
L'affiche de Donoma
Le cinéma, c’est le cas pour les autres disciplines artistiques, évolue dans une certaine autonomie – dépendance par rapport aux autres formes d’expression, avec ses normes, ses outils, sa tradition et ses codes. Cet espace de création qui paraît facile d’accès aux novices en quête d’argent rapide et de renommée locale n’est pas moins l’un des corps de métiers qui font de la perfection, l’un de leurs critères de base de la créativité. On ne fait pas du cinéma sans avoir vu beaucoup de bons films ou sans savoir ce que c’est exactement.
Donoma, c’est l’histoire croisée de la destinée de trois femmes se déroulant parallèlement dans des univers créés à partir des pans du réel, récupérés par l’artiste. Il y a d’abord l’histoire de Chris , une photographe n’ayant jamais eu de relation amoureuse et qui décide de faire une expérience ; celle de se mettre en couple avec le premier inconnu qu’elle aura rencontré dans le métro, en l’occurrence Dama. Et dans cette aventure il y aura une seule règle de vie commune : interdiction de parler. Ensuite, il y a l’histoire d’Analia, enseignante dans un lycée professionnel, constamment harcelée par Dalcio, l’idiot de la classe.
L’affrontement entre l’enseignante et l’élève va laisser place à une attirance physique qui débouchera sur une histoire passionnelle. Enfin, celle de Salma, une adolescente un peu atypique coincée par la maladie de sa sœur Soraya et des problèmes existentiels inhérents à une jeune femme de son âge. Elle se réveille un jour avec des stigmates du type christique aux poignets. Pourtant, elle ne croit pas en Dieu. On peut même dire qu’elle a un profond rejet pour la religion c’est pourquoi elle n’arrive pas à expliquer la présence de ces lignes mystérieuses. Elle croisera sur son chemin un jeune homme profondément croyant et pratiquant Rainé.
Mon premier constat en quittant la salle, après avoir visionné Donoma, c’est que le film ne laisse personne indifférent, encore même. Donoma, c’est en quelque sorte l’expression de l’audace et de la détermination d’un jeune directeur de film qui décide de tailler sa place dans un milieu et dans un genre artistique où l’expérience est donnée comme valeur indispensable. Le film a suscité un enthousiasme extraordinaire au sein d’un public, composé d’étudiants en partie, réuni à la salle de NYU (New York University) dans le cadre de ce festival en Eté dernier. À la manière des faits bruts, se déroulant de manière non linéaire dans la vie quotidienne, sans artifice, ni maquillage, le film est assumé comme une action juvénile, par moments incontrôlable.
de gauche à droite le réal Djinn, Emilia Derou et Salomé Blechman
Le réalisateur haïtien Djinn Carrenard a joué sur l’effet de l’ombre pour compartimenter les meilleurs aspects de son film. Par moments elle distille un peu de blues dans les histoires, sert de cloison entre les angles de vision, ou encore participe du contraste qui équilibre les pensées trop claires des personnages.
Dans ce premier long-métrage, il a placé la barre à une altitude – qu’à mon avis – il aura des difficultés à atteindre et évoluer au cours de la carrière qu’il vient d’inaugurer.
Donoma est le produit de l’ambition d’un jeune réalisateur haïtien Djinn Carrenard résidant en France, qui vient de réussir le pari de réaliser un long-métrage sans aucun moyen financier et de façon indépendante. Ce diplômé de l’école du cinéma n’est pas à son coup d’essai puisqu’en 2008, il réalise un court-métrage à New York « White Girl in her panty », et il filme l’enthousiasme américain entourant la candidature de Barack Obama. Porté par la ferveur que charrie le court succès de ce court-métrage, il rentre en France avec l’objectif de contourner les obstacles du système, et réaliser un long-métrage par ses propres moyens, c’est-à-dire presque rien cent cinquante (150.00) Euros.
En compagnie d’autres amis, il commença à travailler sur le projet BluePrintGuerilla, en reprenant l’expérience du groupe Guerilla film-maker, qui consistait pour des réalisateurs américains au cours des années’80 à tourner des films avec les moyens du bord, parfois inadéquats. C’est la preuve que même avec un maigre budget un réalisateur qui sait ce qu’il fait peut toujours sortir une œuvre de qualité.
Ce film réalisé en 2009 par Djinn Carrenard, avec la collaboration non rémunérée d’une équipe de comédiens, sans un rond, a mérité l’année d’après d’une vie en salle nocturne et sélectionné par le groupe L’ACID pour le festival de Cannes 2010.
L’expérience de Donoma devrait pousser le public haïtien à s’interroger sur un certain cinéma produit par des amateurs, sans métiers ni imagination, qui pousse à tous les coins de rue, un peu plus dans la diaspora de New York et de Florida qu’en Haïti, sans doute à cause des facilités technologiques. Aucun de ces navets n’a caressé la prétention de bénéficier d’une vraie salle et d’un auditoire ayant fait le déplacement pour le voir. C’est toujours étalé dans les bacs des revendeurs de seconde main à côté des autres objets de peu de valeur qu’on les retrouve au juste prix.
Nous souhaitons que d’autres Donoma viennent rehausser l’éclat du cinéma haïtien en terre étrangère ainsi qu’en Haïti. Ainsi à côté des Raoul Peck, des jack Rock, des Claude Mancuso, des Arnold Antonin, des Moïse Camille, des Richard Sénécal pour ne citer que les plus doués, d’autres réalisateurs comme Djinn Carrenard viendront enrichir notre patrimoine artistique.

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