mercredi 16 novembre 2011

Regards Critiques

Les danses folkloriques haïtiennes
Entre l’art et la religion, le malentendu persiste

Prince Guetjens
Critique                                                                            Haïti Liberté NY 15 Nov 2011
Le Ballet Folklorique Tambloula d'Haïti à New York
     Née d’une approche éclose à la lumière d’une démarche, qui a permis aux danses folkloriques haïtiennes de bénéficier d’une certaine visibilité dans les milieux artistiques internationaux au cours des années cinquante. La tendance à confondre les danses folkloriques à la religion vodou est devenue au cours des décennies, de plus en plus difficiles à transcender. Sans trop comprendre les implications, les prophètes de cet évangile enfoncent de plus en plus, chaque jour, cette forme d’expression artistique dans un bourbier qui lui empêche de s’épanouir. On n’est pas sorti, plusieurs millénaires après l’homme de Brno, du malentendu préhistorique qui confond l’art et la religion.
     Les décennies trente et quarante sont sans conteste l’une des plus glorieuses périodes qu’Haïti ait connue au cours de son existence parfois bouleversée. C’est aussi l’époque où la première République noire indépendante du nouveau monde allait faire une seconde percée sur le plan international ; cette fois sur le plan artistique. En 1943, Antalcidas Murat arrive dans le Jazz des Jeunes, en 1945 la peinture populaire haïtienne s’impose au Centre d’Art Haïtien et une année après, Dumarsais Estimé arrive à la magistrature suprême. Le pays va alors connaître des avancées considérables sur le plan de l’amélioration de son image et de sa perception.
      Dans cette euphorie, le monde et plus particulièrement les réseaux artistiques d’Amérique du Nord avaient les yeux rivés sur le pays de Caonabo et de Mackandal. C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender les visites répétées des artistes, des anthropologues, des intellectuels, des politiques et d’autres catégories sociaux venus de par le monde. La célèbre danseuse Katherine Dunham, jeune anthropologue issue de l’Université de Chicago n’a pas pu résister à la fièvre de l’heure, c’est ainsi qu’elle se rendit dans le pays quelques années plus tôt (1935-36), pour tenter de comprendre les danses traditionnelles haïtiennes et le vodou en tant que culture. Elle en a fait d’ailleurs le sujet de sa thèse de maîtrise « Dances of Haiti ».
Une Danseuse de la Troupe Bacoulou
       On ne finira jamais de saluer son passage dans les milieux vodou de la paysannerie haïtienne, grâce auquel la danse folklorique haïtienne aura pignon sur rue un peu partout en Occident. Mais, force est de reconnaître aussi, que c’est de-là qu’est née, cette facilité, à confondre la danse folklorique à la religion vodou.
       Ce qu’il faut comprendre dans cette étude c’est le fait qu’il s’agit d’une danseuse noire américaine, anthropologue de formation qui s’est intéressée au vodou et aux danses traditionnelles haïtiennes. Le pourcentage de chance pour ses travaux de ne pas pencher d’un côté ou de l’autre était quasiment minime.
        Pourtant, il y a eu d’autres études pour le moins remarquables, entrepris par d’éminents chercheurs haïtiens, telles : Notes sur le Folklore Haïtien d’Emmanuel C. Paul, Les Danses Folkloriques Haïtiennes de Lamartinière Honorat (1946), Quelques Mœurs et Coutumes de Jean Baptiste Roumain, Michel Aubourg, Léonce Viaud, Manuel de la Négritude de René Piquion (1961).
        Cette conception du monde, inspirée de  l’indigénisme et particulièrement du courant les Griots, a orienté l’approche du réel de la génération d’alors vers des études folkloriques et ethnologiques, à travers la lentille ethnographique soumise par l’Oncle, je fais allusion au Dr. Jean Price Mars. Dans cette foulée, on ne peut passer sous silence, un esprit atypique, laborieux comme Carl Brouard, considéré comme le chef de file du mouvement les Griots qui a eu à dire :  « Nous remîmes en l’honneur l’assôtor et l’arçon / Nos regards nostalgiques se dirigèrent vers l’Afrique douloureuse et maternelle… ».
       Plusieurs décennies durant, l’art haïtien sera présenté sur ce plateau culturel, ce qui est tout à fait juste. Mais par moments certains regards le feront glisser au-delà des frontières d’avec la religion. À ce moment-là, l’art en tant que mode d’expression se fond dans un corpus religieux, se voit obligé de respecter ses normes et ses exigences parfois dogmatiques.
         Les danses folkloriques haïtiennes en tant que moyens d’expression, nés de la capacité de mouvoir le corps humain, constitué d’une suite de mouvements ordonnés, souvent rythmés par la musique (chant ou instrument), tout en représentant l’ensemble des productions du peuple et se transmettant d’une génération à l’autre. Ce champ de création tomberait de son piédestal pour être réduit à s’occuper d’une nature supérieure qu’on appelle divine et de lui rendre un culte dans une relation entre l’humanité et Dieu.
La Compagnie Artcho Dance
     Dans sa mission d’exprimer le vécu populaire les danses folkloriques haïtiennes s’appuient grandement sur beaucoup de rythmes puisés dans le patrimoine vodou comme : l’Ibo ; rythme des esclaves, le Nago ; celui de la guerre, le Parigol ; l’imitation des vagues de la mer, le Yanvalou : rituel de Danballah et d’Aïda Wèdo, par exemple. Mais il y a d’autres rythmes utilisés sous les chorégraphies comme : L’Affranchi ; rappelant la période coloniale des nouveaux libres, le Chica ; une danse espagnole, ou le Menuet ; une danse coloniale française, pour ne citer que ceux-là, qui ne sont pas forcément de souche vodou.
         La confusion dans la définition des danses folkloriques haïtiennes est si profonde que, la plupart des danseurs, ceux qui ne disposent pas d’une formation théorique adéquate dans ce domaine croit de bon ton de se faire Hougan pour avoir plus d’aura dans ce métier. Il en résulte que, dans les écoles où ils enseignent ici aux Etats Unis d’Amérique, au Canada et ailleurs, leurs élèves croient dur comme fer qu’il n’existe pas de paroi étanche entre le vodou et les danses folkloriques haïtiennes. Ce qui est dommage.
Plus dommage encore c’est la démission totale, depuis nombre d’années du ministère haïtien de la culture à encadrer l’art, en particulier ce qui reste encore comme noyau au niveau des danses folkloriques au niveau du pays et ailleurs.
Je ne peux terminer ce papier sans mentionner la contribution d’institutions et de personnalités qui ont permis à nos danses d’être exposées de par le monde. Je pourrais citer : la Troupe Bakoulou d’Odette Wiener, Sourire d’Haïti de Rose Marie Kernizant dans un premier temps. Et ensuite : Ballet Folklorique Tamboula d’Haïti de Péniel Guerrier, Haïti Tchaka Danse de Christine Dupuy, Ballet Folklorique d’Haïti de Nicole Lumarque, ArtCho Dance de Jean René Delsoin et Jean Guy Saintus, Institut de Danse Lynn William Rouzier, Bazilik Kreyòl de Jean Evans Cadet, l’Ecole de Danse Vivianne Gauthier, pour ne citer que les plus importants.

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