mardi 20 septembre 2011

Regards Critiques

Jean Idélus Edmé : une palette populaire moderne

Vers une rééducation de l'oeil
 Prince Guetjens                                         à Gary, Isa, Glory et Sylvie

La pèche
     Dès qu’on parle du Peintre et Restaurateur Jean Idélus Edmé les amateurs d’art, les esthètes, les collectionneurs étrangers ainsi que les habitués des milieux d’exposition de la Capitale haïtienne vont immédiatement faire le lien avec le Centre d’art Haïtien. En effet, l’artiste a fait ses premiers pas à côté du peintre Pierre Vilmé à Carrefour avant d’arriver au Centre d’art, où sous les ailes de Francine Murat il allait grandir avant de se placer, il y a un peu plus de cinq ans dans le peloton de tête, des artistes haïtiens les plus respectés actuellement.
     Idélus Edmé s’est inscrit très tôt dans la grande tradition de la peinture populaire du Centre d’art en optant pour une écriture picturale qui a connu des heures de gloire à travers le monde, mais dénigrée par les adversaires de DeWitt Peters, qui continuent aujourd’hui encore à livrer une guerre sans merci à une forme d’expression artistique revendiquant une certaine authenticité haïtienne.
     La palette a butiné dans tellement de fleurs qu’il devient pratiquement impossible d’identifier son influence avec exactitude. Il s’est essayé à presque toutes les formules et techniques, dont les maîtres issus de ces lieux en portent la marque. Grandir à l’ombre de ces grands portraits qui n’avaient plus quitté le Centre d’art depuis qu’ils étaient partis pour l’au-delà n’était pas chose facile. Ce n’était jamais assez bon. Et cela ne saurait être autrement quand on avait pris la décision de marcher sur les traces d’un Hector Hyppolite, d’un Philomé Obin, d’un Louverture Poisson ou d’un Jasmin Joseph. Le jour où il s’était rendu compte qu’il devait être lui-même et pas un autre, l’artiste s’est construit une personnalité qui lui a permis de consolider ses acquis en élargissant à chaque jet un peu plus son territoire.
     La peinture d’Idélus fait écho à une réalité immédiatement perceptible qui charrie toute une manière d’être, une conception de monde qui permettent à tout un peuple d’exister parmi d’autres peuples, parce que, à l’instar des autres peuples, il a son port d’ancrage. Il suffit de résister à l’idée de regarder cette peinture au premier degré pour en découvrir tout son secret. Mais cela exige de la considérer pour ce qu’elle est, et non comme un exercice raté d’une autre peinture répertoriée, répondant à d’autres exigences plastiques. Donc cela exige une certaine hauteur. Ce qui a fait énormément défaut même aux théoriciens de l’art haïtien pour la plupart, qui aujourd’hui encore continuent de parler de peinture naïveprimitive parce qu’un jour, au cours de l’année 1945 Jose Gomez Sicre et DeWitt Peters ensuite avaient utilisé ces vocables.
A la campagne
     Pourtant ce ne serait pas vraiment difficile compte tenu de l’attitude plutôt épanouie qu’a toujours adopté cette peinture jeune et moderne. Couleurs, points, lignes et formes informent une réalité en milieu rural, mise en exergue, en superposant des plans articulés selon une certaine logique immédiatement reconnaissable à des yeux exercés, à voir à travers certaines fenêtres. Les personnages sont tout juste ébauchés, pour donner aux spectateurs l’impression qu’ils évoluent dans le même environnement qu’eux. Pour construire en dur cette réalité illusoire les couleurs viennent épouser des résultantes de points et de lignes dans une certaine adéquation avec des moments fixés par le temps sur la rétine de ceux qui identifient clairement un petit village verdoyant, traversé par un cours d’eau, avec des chaumes recouverts de pailles et des villageois qui l’y habitent (#1). Sous un ciel bleu azuré par une forte lumière créée par une dominance de clair deux reflets mimant deux pêcheurs monté sur un bois fouillé affrontent la mer et sa cohorte de désillusions (#2).
     Dans les deux toiles, on y voit des extravagances d’un métier sérieusement appris tant au niveau de la construction de son morceau d’espace imaginaire, de l’organisation de sa surface de manœuvre ainsi que dans sa maîtrise du pinceau - couteau et des couleurs. Conscient que l’artiste depuis la découverte de la Photographie vers la fin du XIXe siècle par Daguerre et Niepce n’avait plus pour mission de fidéliser la représentation du réel quotidien, Idélus se contente d’utiliser des symboles ébauchés pour donner libre cours à sa recherche au niveau de l’interrelation entre les couleurs. Ainsi il déplace l’orientation de la peinture populaire haïtienne vue par la plupart des peintres de ce courant de son objectif initial, pour la soumettre à d’autres préoccupations moins subjectives. En cela il réunit les conditions pour être un peintre populaire moderne.
     L’artiste peintre Jean Idélus Edmé vit actuellement  à Miami, Floride.

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