mercredi 14 septembre 2011

Regards Critiques

Hébert Polycarpe : un génial plasticien méconnu
De l'Abstraction Symbolique


Prince Guetjens                                                                  à Béa, Dedette et Sylvie
Haïti Liberté 20 Avril 2011

Abstraction Symbolique de Policarpe
        Le survol des différentes palettes picturales de la dernière génération de maîtres de la peinture haïtienne que j’ai entamé, il y a quelques semaines, me conduit aujourd’hui sur les rives de la production d’un plasticien exceptionnel du nom d’Hébert Polycarpe; l’initiateur de la tendance en Haïti de l’Abstraction Symbolique. L’importance de la proposition n’est pas sans interroger le parcours de son initiateur. Contrairement à ce que je fais d’habitude, je me vois obligé de souligner la trajectoire de ce créateur  peu ordinaire qui choisit toujours de ne pas se mettre au premier rang, sous les feux de la rampe.
Hébert Polycarpe est originaire du Cap-Haïtien, après ses études secondaires il est arrivé  à Port-au-Prince pour étudier les Arts Plastiques à l’Enarts, et ensuite la Philosophie à l’Ecole Normale Supérieure. Il a réalisé et collaboré à pas mal de projets artistiques à travers le pays avant d’accéder au poste de Directeur des Etudes à l’Enarts. Dans le cadre des activités du Ministère de la Culture et de la Communication, au moment où Olsen Jean Julien essayait de promouvoir et accompagner le Vodou, Polycarpe a tenté une expérience picturale dans les Lakou Vodou Soukri et Badjo, au cours de l’automne 2009 comparable à celle de Soissons-La-Montagne conduite en 1974 par Maud Robart et Jean Claude Garoute, avec des nuances au niveau de l’orientation. Membre de la Commission d’orientation, de Supervision et d’Evaluation du Carnaval de Port-au-Prince, c’est lui qui a réalisé la grande sculpture (35 pieds de haut par 14) placée à la rue Oswald Durand en face de la faculté de médecine (mascotte 2009).
La première fois que nous avions eu à discuter de sa démarche esthétique en ce qui a trait à l’Abstraction Symbolique, il y a une quinzaine d’années, dans les jardins de l’Ecole Nationale des Arts (Haïti), les arguments avancés par ce théoricien - artiste m’ont donné à voir une solide réflexion résultant de longs travaux théoriques en arts plastiques. Produire des Symboles revient à utiliser des formes, et particulièrement des figures géométriques et naturelles. Quant à concilier ces deux concepts, la démarche participe d’une association un peu spéciale où deux entités pour le moins opposables sont amenées à s’imbriquer l’un dans l’autre pour porter – transmettre une conception du monde par le biais des arts plastiques. En pareille circonstance, l’outil théorique se révèle d’une importance considérable.
Lors d'une séance de travail Polycarpe acroupi à droite
Dans son approche, l’artiste met à caution le pouvoir de la peinture pour engendrer de par elle-même des formes à peine définies – ébauchées, dotées de la mission de provoquer d’intenses émotions sur les spectateurs, et particulièrement orientées vers le sanctuaire vodou. Le but serait que la peinture puisse enfin, au même titre que le tambour, la danse et le chant déclencher des vagues d’émotions chez un initié, capable de le pousser à la transe pran lwa.
Polycarpe peint comme on trace un vêvê penché en avant sur le support étalé par terre devant lui, parfois sous ses genoux ou sous ses pieds. À la manière des maîtres de l’Expressionnisme Abstrait, l’artiste jette ça et là les couleurs sur la surface ouverte et disponible, avant de les articuler en un certain désordre. Dans son œuvre, ce sont les couleurs elles-mêmes qui mènent la danse, créent le mouvement, musclent le ventre mou au hasard des nuances et des contrastes simultanés.
Cette volonté mystique qui se veut irrationnelle on ne peut plus, pousse Polycarpe à interroger le rôle des lignes dans l’organisation de l’espace pictural. On est dans un univers fait d’émotions sublimées, traversé par une vibration mystique, comme un clin d’œil sur les premiers moments de l’apparition de l’art. En même temps, l’artiste voit dans cette manière d’appréhender le réel comme le moyen de créer une beauté profondément humaine et enrichissante, de construire un au-delà autrement équilibré, digne d’une humanité régénérée.
Hébert Polycarpe continue de développer sa théorie qu’il expérimente à travers une production complexe et plurielle, qui ne se limite pas uniquement à la peinture. Au niveau de la sculpture et dans d’autres médias, il poursuit cette quête du beau et de la vérité qui a toujours hanté les rêves des plus grands maîtres depuis les temps les plus reculés.

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