mardi 20 septembre 2011

Regards Critiques

.Don Michaud en quête de sa vérité
 Entre le Merveilleux et le Surréel

Prince Guetjens                                            à l'ENART'S     
Haiti Liberté Mai 2011


     Généralement on tend à confondre l’artiste avec sa production, et souvent il arrive à certains journalistes de parler davantage de l’artiste alors qu’ils ont à se pencher sur ses œuvres. Cette façon de procéder qui doit paraître naturelle aux yeux de plus d’un, pose problèmes pourtant à plusieurs niveaux, dont je ne vais pas prendre le temps de développer dans le cadre de cet article consacré aux dernières propositions de Don Gérald Michaud sur le plan pictural.
     Il m’a été donné de voir une vingtaine des dernières toiles de l’artiste Haïtien Don Michaud, desquels j’ai choisi de soumettre deux à une analyse pour permettre au grand public d’avoir une idée de l’orientation esthétique de ce créateur, qui fait le choix de s’inscrire dans une démarche encore non défini que je baptiserais Surréalisme Merveilleux.
     Descendu de nulle part un pied androgyne, partant des nuages se pose sur un parterre, en carreaux de mosaïque délimité par des pylônes de bétons longeant en ligne droite avant de se perdre dans la lumière écarlate de l’horizon.  Ce long parterre jouxte une nature un peu sauvage où les éléments s’harmonisent au gré des saisons, « Être ou ne pas être » peinte en 2007, dénonce une certaine appréhension chez l’artiste à se ranger dans une démarche plutôt réfléchie. Si l’attitude aérienne laisse augurer une certaine influence du surréaliste espagnol Salvador Dali, dans une facture moins maniérée, l’organisation spatiale se démarque de la facilité en respectant toutefois certains principes de la perspective développés et exposés dans le célèbre libre de l’architecte Léon Battista Alberti (1404-1472). 
     Sur le plateau sont dispersés ça et là des motifs ; papillon, moité d’œuf, poisson, aubergine, des coquillages plus grands que nature si on tient compte de leur dimension dans la ligne de fuite, une végétation et de l’eau. L’ensemble est soumis à un éclairage violent venant du côté opposé au spectateur qui déstabilise la cohabitation, un tantinet forcée, des couleurs les plus opposables. Cette montagne à la végétation multicolore avec une dominance orange, mauve et ocre brun balayée par l’astre de lumière qui se laisse prendre en sandwiche entre ce morceau de ciel bleu tournant au vert et la montagne.
     Mère Nature », l’une des plus récentes toiles de Don Michaud datant de 2010 s’ouvre sur une représentation de femme émergeant d’un magma nourricier composé d’eau, de feu et d’autres matières dans un ailleurs indéfini. Cet ailleurs situé entre les cieux et la mer, accouche de tout, par exemple de ces deux poissons trompettistes qui délimitent le cadre fragile où se place une femme nue, dont les seins semblent sculptés par d’autres mains avant de prendre leur place dans l’ensemble. Malgré la distance en années de lumière qui les sépare, par la magie de créer trois dimensions sur une surface qui ne contient que deux, les trompettes semblent évoluer dans le voisinage immédiat d’une lune sectionnée en deux parties inégales contrastant par sa blancheur sur un pan de ciel bleu.
     Pareille à une déesse évadée d’une quelconque paradis imaginaire, cette beauté au ventre arrondi, parée de perles, portant sur la tête une couronne sacrée est traitée dans une logique formelle de la déformation, qui remet en question les lois de la proportion au niveau de l’anatomie du corps humain. Le poisson, l’œuf ainsi que le coquillage n’ont pas raté le train une fois de plus. Dans la construction graphique de ce tableau quant au choix des tonalités, l’artiste fait preuve d’une connaissance approfondie de la gamme chromatique chère à Paul Cézanne.
     Au-delà des formes, des objets et des autres motifs, Don Michaud s’attache à reproduire et à jouer sur les effets de lumière, et sur les teintes des couleurs, et la résultante de l’interaction entre ces deux éléments. Il prête peu d’attention aux détails des formes, pourtant impérieux pour les deux courants qui alimentent son cru : le Surréalisme et le Réel Merveilleux proposé par Alejo Carpentier. Don Michaud tente de manière délibérée de prendre ses distances vis-à-vis des préoccupations littéraires ou narratives de la peinture pour mieux organiser l’opposition - conjonction qui définit les relations entre la couleur et la lumière. Il se contente de noter schématiquement et rapidement, avec un minimum d’élaboration intellectuelle ce qu’il ressentit devant la nature et les utilise comme prétexte dans la construction de sa démarche esthétique.
     Don Gérald Michaud vit actuellement en Floride (USA) et il travaille comme professeur d’art à la Adult Education & Community de Naples, Miami.

Regards Critiques

Jean Idélus Edmé : une palette populaire moderne

Vers une rééducation de l'oeil
 Prince Guetjens                                         à Gary, Isa, Glory et Sylvie

La pèche
     Dès qu’on parle du Peintre et Restaurateur Jean Idélus Edmé les amateurs d’art, les esthètes, les collectionneurs étrangers ainsi que les habitués des milieux d’exposition de la Capitale haïtienne vont immédiatement faire le lien avec le Centre d’art Haïtien. En effet, l’artiste a fait ses premiers pas à côté du peintre Pierre Vilmé à Carrefour avant d’arriver au Centre d’art, où sous les ailes de Francine Murat il allait grandir avant de se placer, il y a un peu plus de cinq ans dans le peloton de tête, des artistes haïtiens les plus respectés actuellement.
     Idélus Edmé s’est inscrit très tôt dans la grande tradition de la peinture populaire du Centre d’art en optant pour une écriture picturale qui a connu des heures de gloire à travers le monde, mais dénigrée par les adversaires de DeWitt Peters, qui continuent aujourd’hui encore à livrer une guerre sans merci à une forme d’expression artistique revendiquant une certaine authenticité haïtienne.
     La palette a butiné dans tellement de fleurs qu’il devient pratiquement impossible d’identifier son influence avec exactitude. Il s’est essayé à presque toutes les formules et techniques, dont les maîtres issus de ces lieux en portent la marque. Grandir à l’ombre de ces grands portraits qui n’avaient plus quitté le Centre d’art depuis qu’ils étaient partis pour l’au-delà n’était pas chose facile. Ce n’était jamais assez bon. Et cela ne saurait être autrement quand on avait pris la décision de marcher sur les traces d’un Hector Hyppolite, d’un Philomé Obin, d’un Louverture Poisson ou d’un Jasmin Joseph. Le jour où il s’était rendu compte qu’il devait être lui-même et pas un autre, l’artiste s’est construit une personnalité qui lui a permis de consolider ses acquis en élargissant à chaque jet un peu plus son territoire.
     La peinture d’Idélus fait écho à une réalité immédiatement perceptible qui charrie toute une manière d’être, une conception de monde qui permettent à tout un peuple d’exister parmi d’autres peuples, parce que, à l’instar des autres peuples, il a son port d’ancrage. Il suffit de résister à l’idée de regarder cette peinture au premier degré pour en découvrir tout son secret. Mais cela exige de la considérer pour ce qu’elle est, et non comme un exercice raté d’une autre peinture répertoriée, répondant à d’autres exigences plastiques. Donc cela exige une certaine hauteur. Ce qui a fait énormément défaut même aux théoriciens de l’art haïtien pour la plupart, qui aujourd’hui encore continuent de parler de peinture naïveprimitive parce qu’un jour, au cours de l’année 1945 Jose Gomez Sicre et DeWitt Peters ensuite avaient utilisé ces vocables.
A la campagne
     Pourtant ce ne serait pas vraiment difficile compte tenu de l’attitude plutôt épanouie qu’a toujours adopté cette peinture jeune et moderne. Couleurs, points, lignes et formes informent une réalité en milieu rural, mise en exergue, en superposant des plans articulés selon une certaine logique immédiatement reconnaissable à des yeux exercés, à voir à travers certaines fenêtres. Les personnages sont tout juste ébauchés, pour donner aux spectateurs l’impression qu’ils évoluent dans le même environnement qu’eux. Pour construire en dur cette réalité illusoire les couleurs viennent épouser des résultantes de points et de lignes dans une certaine adéquation avec des moments fixés par le temps sur la rétine de ceux qui identifient clairement un petit village verdoyant, traversé par un cours d’eau, avec des chaumes recouverts de pailles et des villageois qui l’y habitent (#1). Sous un ciel bleu azuré par une forte lumière créée par une dominance de clair deux reflets mimant deux pêcheurs monté sur un bois fouillé affrontent la mer et sa cohorte de désillusions (#2).
     Dans les deux toiles, on y voit des extravagances d’un métier sérieusement appris tant au niveau de la construction de son morceau d’espace imaginaire, de l’organisation de sa surface de manœuvre ainsi que dans sa maîtrise du pinceau - couteau et des couleurs. Conscient que l’artiste depuis la découverte de la Photographie vers la fin du XIXe siècle par Daguerre et Niepce n’avait plus pour mission de fidéliser la représentation du réel quotidien, Idélus se contente d’utiliser des symboles ébauchés pour donner libre cours à sa recherche au niveau de l’interrelation entre les couleurs. Ainsi il déplace l’orientation de la peinture populaire haïtienne vue par la plupart des peintres de ce courant de son objectif initial, pour la soumettre à d’autres préoccupations moins subjectives. En cela il réunit les conditions pour être un peintre populaire moderne.
     L’artiste peintre Jean Idélus Edmé vit actuellement  à Miami, Floride.

dimanche 18 septembre 2011

Regards Critiques



PRÉFETE DUFFAUT ET DIEUDONNÉ CÉDOR1
Deux fils authentiques du Centre d’art Haïtien

Prince Guetjens
Haiti Liberté, Avril 2011                                                     à Isa, Glory et Sylvie
    
Ville imaginaire de Préfette Duffaut
    La foule souvent conservatrice est restée fidèle à cette notion du temps absolu défini par Newton, dont l’écoulement uniforme comparable à celui d’un fleuve enveloppe tout changement dans un enchaînement indéfini des formes naissantes.  C’est moins le temps que la « durée » qui est conçue ainsi comme le tissu physiologique et psychologique de notre vie, toujours semblable à lui-même malgré le renouvellement incessant de ses cellules.
     On comprend que les esprits restés fidèles à cette notion du temps classique, ceux qui admettent que le fils doit hériter de son père exigent de toute forme nouvelle qu’elle soit conséquente à ses antécédents. On comprend qu’ils soient décontenancés par le caractère insolite, par l’instinct de révolution des œuvres de notre temps. Toutefois rien n’explique pourquoi, au-delà des contingences, ces gardiens du temple ne se soient pas permis de faire une expérience esthétique toute neuve au contact de ces différentes écritures qui ont représenté la peinture haïtienne pendant cette période. Une expérience capable de procurer une jouissance esthétique qui se distingue de la simple jouissance sensuelle par la distance esthétique, la “distanciation du sujet et de l’objet”, comme l’ont confirmé toutes les théories esthétiques, quasi unanimes, depuis Kant et sa conception du plaisir désintéressé.
    Sans vouloir chercher des similitudes entre des écritures picturales, qui se situent aux antipodes l’une de l’autre, nous pouvons au moins analyser et tenter de comprendre les conditions de la cohabitation de ces deux propositions Cédor et Duffaut ; deux fils authentiques du Centre d’art Haïtien, « en un lieu et en un temps ». Et ainsi présager tout le bien qui  pourrait en découler au profit de la peinture haïtienne.
    Bâtisseur de villes dans un univers merveilleux, Préfète Duffaut se singularise par sa capacité à créer sa propre tessiture. Malgré son penchant pour le paysage, le pinceau de Duffaut se refuse au sens du volume et son organisation de l’espace n’est pas tributaire des normes de la peinture occidentale. Comme un leitmotiv, la mer traverse les villes imaginaires suspendues de Duffaut d’un bout à un autre, des villes propres, animées, grouillantes d’activités, coloriées avec des portes et des routes, où il fait bon vivre. Elles ne se courbent pas toujours aux normes de la géométrie et de la pesanteur, là où elles se situent dans l’espace interplanétaire. Il élève ses villes en fonction de l’environnement (montagne, plaine et mer), qui caractérise l’île  des Taynos. Pour rendre ces montagnes, ces plaines et ces bras de mer  perpendiculaires au sol, il ajoute des masses qui échappent aux lois de la pesanteur et de l’équilibre.
    Dans la peinture de Duffaut l’ensemble se fortifie au détriment du détail et vice-versa. Malgré le fait que ce monde imaginaire paraît riche, touffu par endroits, les habitants qui encombrent les rues, les bidonvilles soigneusement arrangés et tout le paysage, c’est toujours dans la valorisation du détail que l’ensemble en sort renforcé. Toujours dans le refus d’apprécier les peintures pour ce qu’elles sont, certains critiques soutiennent que seul  Rigaud Benoît parmi les peintres populaires eut été à la hauteur d’un travail aussi soigneusement réalisé. Cette écriture magique qui n’hésite pas à offrir des villes flottantes avec pour seules attaches des ponts, qui relient plusieurs étages étapes.  Cette peinture qui ne s’embarrasse pas à faire intervenir des entités spirituelles opposées sur le même plateau : des êtres spirituels qui aident les humains à traverser les affres de l’enfer, des démons aux cornes pointues surgissant des flammes, des anges montant la garde au faîte d’une tour, des anges jouant de la trompette, n‘est comparable qu’à elle-même. 
La Danse de Dieudonné Cédor
    Des trois peintres qui conduisirent la « lutte » aboutissant à la fondation du Foyer des arts plastiques (FDAP), Dieudonné Cédor fut le seul peintre populaire. Embarqué malgré lui dans ce mouvement de revendication pour la « liberté et l’autonomie », il n’a  pas compris assez tôt que cette  « lutte » n’était peut-être pas la sienne.
    De lui Jacques Alexis écrivit ceci : « Cette fois comme toutes les autres, je me suis rendu à l’exposition de Cédor, ainsi qu’on va recevoir une leçon d’amour et de fraternité humaine, avec la certitude de rencontrer le langage de la vérité et de la beauté ».  Quel vibrant hommage pour un peintre qui dès son arrivée au Centre d’art en 1946, a été confié à un autre peintre populaire Rigaud Benoît ; chargé de lui faire ses premiers outils, en lui octroyant les principes élémentaires de cette démarche picturale.
     Cette jeune recrue issue des quartiers pauvres de la capitale, ne va pas tarder à prendre place dans un Centre d’Art en pleine mutation, à côté d’autres camarades inscrits dans la tessiture populaire. Dans un premier temps, sa technique restait assez tributaire de son maître, avec des emprunts évidents à Hector Hyppolite. Plans superposés, personnages à têtes énormes proportionnelles, sans doute, à leur importance, couleurs violentes et crues qui se démarquent de plus en plus de Rigaud Benoit. À l’époque  il avait un faible pour les grisailles et les verts calcinés, superpositions de bleu de Prusse et de rouge écarlate, etc.
   Il récupérait des motifs d’un peu partout  pour les intégrer dans son univers pictural. À Hector Hyppolite il empruntait les branches fleuries qui  encadraient les portraits, pour les convertir en structure de base. Selden Rodman avait fait comprendre que Dieudonné Cédor était meilleur peintre quand son dessin tend vers l’abstraction, ou quand il brosse sévèrement un tableau (Toussaint Louverture). Dans son célèbre tableau (Trois Femmes), il étalait une sensation de sérénité et de calme vite dynamisée par la lumière crue, qui exaltait à l’époque ses ocres, ses bleus et ses bruns. La simplicité des personnages tendait parfois vers un dénuement qui ne va pas entamer le décor, suintant assez le désespoir d’une existence ratée.
    Tout au début Cédor offrait le profil d’un timide audacieux, qui laissait l’impression d’un jeune homme qui savait ce qu’il désirait. Il avait un rêve  personne ne pouvait en douter. Selden Rodman avait fait remarquer que déjà vers 1948, Cédor suivait des cours du soir dans l’intention de pouvoir lire des poètes français contemporains, particulièrement  Paul Eluard.
     Il a eu de nouveaux maîtres au Foyer des Arts Plastiques. Sous la direction de Lucien Price, Max Pinchinat et de Madeleine Paillère, il fit la découverte de certains maîtres de la peinture occidentale tels : Michel-Ange, Cézanne, Gauguin et Vincent Van Gogh. Il étudia assidûment leur technique dans le détail. Rien ne semblait pouvoir satisfaire sa soif de savoir, quand il ne peignait pas il lisait ou feuilletait des ouvrages d’art. Ce fut une quête sans escale jusqu’en 1962. Chacune de ses œuvres réalisées vers cette époque représentait pour lui une expérience nouvelle, mais aussi un objet d’inquiétude et d’insatisfaction. Il était clair que ce peintre allait tout droit vers sa mort artistique.
     Dans sa contribution à l’histoire de la peinture haïtienne, l’auteur de « Haïti et ses Peintres » a noté ce qui suit : «  Nous pouvons distinguer trois périodes dans l’évolution de Cédor après sa rupture avec le Centre d’Art, les années 1950-1953 devant plutôt être considéré comme des années de conversion, d’études et de formation.
La première période commence en 1953, au moment où il se décide vraiment à affronter le public, et va jusqu’en 1956-1957—Cédor est alors au FDAP.
La deuxième période se situe principalement à la Galerie Brochette. Elle couvre les années de 1957  à  1962. Elle est la plus forte et la plus importante. Cédor devient l’un des artistes haïtiens les plus en vue et les plus respectés.
La troisième période s’ouvre en 1962—1963. Cédor a presque entièrement renoncé à ses rêves. Il se sent d’ailleurs seul et isolé. Ses anciens camarades de la Galerie Brochette se sont dispersés ou ont abandonné la lutte ».  Et, j’ajoute, la palette de Cédor se suicida.
       Il est important de noter que l’auteur de “Haïti et ses Peintres”, a fait le choix délibéré de gommer le passage de Dieudonné Cédor au Centre d’Art Haïtien (1946-1950), un peu comme si cette première période n’en valait pas la peine. Pourtant toute tentative d’étudier la démarche picturale de ce peintre doit nécessairement tenir compte de ces premiers balbutiements à un moment où la palette de l’artiste était fortement alimentée par son quotidien social et son objectivité culturelle

     En réalité  l’artiste Cédor s’est éteint, le jour où l’artiste s’est laissé embrigader dans le complot contre le Centre d’Art. Cédor eut le statut de maître de la peinture  parce que le Centre d’Art existait, tout simplement. C’est le caractère anthropologique (sanctuaire) et non le caractère académique (beaux-arts) de la création artistique qui lui conférait ce statut. N’ayant pas pris le temps de réfléchir, il n’a pas pu se rendre compte de la réalité. Au Centre d’Art Dieudonné Cédor fut beaucoup plus important que Lucien Price, Max Pinchinat ou n’importe quel autre peintre dit avancé. Mais au lendemain de la fondation du Foyer des Arts Plastiques (FDAP), sans en avoir conscience il a hypothéqué cet acquis, contre une modeste carte d’apprenti peintre, sans aucun espoir de devenir, un jour, un artiste peintre véritable. Pour
être à même de recevoir les savoirs de ses nouveaux  formateurs, il a dû refouler la plupart des connaissances acquises au Centre d’Art, et bien évidemment une part fondamentale de lui-même.
Extrait de l'essai : La Scission de 1950 : la mise en échec de la peinture populaire au Centre d'Art Haïtien.

mercredi 14 septembre 2011

Regards Critiques

Copie Conforme : Entre le vrai et le factice
Un film du cinéaste iranien Abbas Kiarostami

Prince Guetjens  


                                                              à Isa, Sylvie, Béa et Dedette

      Au IFC Center Ciné, situé à la sortie west-4 du Subway à Manhattan, pour sa grande première à New York, la salle # 1 affichait le plein pour accueillir Copie Conforme le premier film à tempérament hollywoodien, du réalisateur Iranien Abbas Kiarostani.
premier role féminin Juliette Binoche
      Copie Conforme, c’est l’histoire d’une rencontre entre un écrivain (William Shimell) et une galeriste (Juliette Binoche) dans un petit village italien du sud de la Toscane. En tournée pour présenter son livre sur l’art et ses copies en Italie, il va se retrouver dans le sillage d’une femme extraordinairement intéressée à l’histoire de l’art, sensible à la capacité d’une œuvre d’art de permettre à un être ou une action d’accéder à l’immortalité, mais aussi une femme amoureuse prête à tout pour le garder auprès d’elle.
    C’est avant tout une histoire on ne peut plus banale entre un homme et une femme. Une histoire universelle qui pourrait se dérouler dans n’importe quel  endroit du globe et arriver à n’importe qui jusqu’au moment où, un regard jeté comme par hasard fasse déclencher la vague des sentiments. À partir de ce moment, le Rubicon était franchi, c’est une campagne de séduction qui prend place au fur et à mesure, conduite avec maestria par la galeriste qui ne néglige absolument rien pour convaincre l’écrivain de rester à ses côtés. 
William Shimell et Juliette Binoche
     Les deux tiers du film sont consacrés à un dialogue entre les deux protagonistes, dialogue qui se déplace d’un sujet à un autre mais toujours ponctué par des allusions amoureuses. Dans un premier temps, l’écrivain devait remplacer ce mari qui vient de partir après quinze ans de vie commune, avant d’accepter d’entrer dans le jeu de la mimesis. L’histoire se déroule en une journée et en un lieu. Le décor constitué du patrimoine culturel et artistique vraiment riche de cette petite ville d’Italie avec sa cathédrale, ses monuments, ses galeries et d’autres lieux exotiques offre un attrait tout à fait particulier au contenu.
      Abbas Kiarostami utilise ses matériaux dans une mise en scène où les spectateurs sont conviés à se balader dans un univers à plusieurs dimensions. Tantôt ils se retrouvent dans la trame d’un drame au second degré (le film), tantôt ils sont basculés dans un univers autre où les principaux acteurs sont tout aussi étrangers qu’eux. Cette manière de faire qui rappelle par trop le tableau d’abord inerte de Peter Greenaway qui devient animé, et à l’intérieur duquel une histoire va se dérouler pousse les spectateurs dans leurs dernières réserves en les incitant à remettre en question tout ce qu ‘ils croyaient savoir sur le cinéma. Mais à la seule différence dans Copie Conforme, l’histoire ne revient pas au deuxième degré avant la fin du film. Autrement dit, il n’y a pas de résolution. 
Le résalisteur Iranien Abbas Kiarostami
      Les spectateurs sont pour ainsi dire abandonnés à eux-mêmes dans une impasse située dans l’impasse principale sans aucune voie de sortie. Le réalisateur Abbas Kiarostami s’est risqué à jouer pendant les deux tiers du film de l’incertitude  d’une trame narrative avec des acteurs s’exprimant dans trois langues (Français, Anglais, Italien) indifféremment. Pour sa première expérience de tourner dans une langue autre que sa langue maternelle : le Farsi, il n’est pas parvenu pour autant à compromettre son style.
     Jeux d’acteurs parfait avec une meilleure présence pour Juliette Binoche, ce qui lui a valu le premier prix d’interprétation féminine au festival de cannes (2010). Éclairage parfait malgré le fait que certaines scènes sont pratiquement filmées dans une extrême pénombre, parfois au sous-sol d’une galerie ou dans une cathédrale. Copie Conforme vient de consacrer le cinéma Iranien sur la scène internationale.
      Copie Conforme est un drame d’1h 46 m, qu’il faut voir à tout prix.

Regards Critiques

Hébert Polycarpe : un génial plasticien méconnu
De l'Abstraction Symbolique


Prince Guetjens                                                                  à Béa, Dedette et Sylvie
Haïti Liberté 20 Avril 2011

Abstraction Symbolique de Policarpe
        Le survol des différentes palettes picturales de la dernière génération de maîtres de la peinture haïtienne que j’ai entamé, il y a quelques semaines, me conduit aujourd’hui sur les rives de la production d’un plasticien exceptionnel du nom d’Hébert Polycarpe; l’initiateur de la tendance en Haïti de l’Abstraction Symbolique. L’importance de la proposition n’est pas sans interroger le parcours de son initiateur. Contrairement à ce que je fais d’habitude, je me vois obligé de souligner la trajectoire de ce créateur  peu ordinaire qui choisit toujours de ne pas se mettre au premier rang, sous les feux de la rampe.
Hébert Polycarpe est originaire du Cap-Haïtien, après ses études secondaires il est arrivé  à Port-au-Prince pour étudier les Arts Plastiques à l’Enarts, et ensuite la Philosophie à l’Ecole Normale Supérieure. Il a réalisé et collaboré à pas mal de projets artistiques à travers le pays avant d’accéder au poste de Directeur des Etudes à l’Enarts. Dans le cadre des activités du Ministère de la Culture et de la Communication, au moment où Olsen Jean Julien essayait de promouvoir et accompagner le Vodou, Polycarpe a tenté une expérience picturale dans les Lakou Vodou Soukri et Badjo, au cours de l’automne 2009 comparable à celle de Soissons-La-Montagne conduite en 1974 par Maud Robart et Jean Claude Garoute, avec des nuances au niveau de l’orientation. Membre de la Commission d’orientation, de Supervision et d’Evaluation du Carnaval de Port-au-Prince, c’est lui qui a réalisé la grande sculpture (35 pieds de haut par 14) placée à la rue Oswald Durand en face de la faculté de médecine (mascotte 2009).
La première fois que nous avions eu à discuter de sa démarche esthétique en ce qui a trait à l’Abstraction Symbolique, il y a une quinzaine d’années, dans les jardins de l’Ecole Nationale des Arts (Haïti), les arguments avancés par ce théoricien - artiste m’ont donné à voir une solide réflexion résultant de longs travaux théoriques en arts plastiques. Produire des Symboles revient à utiliser des formes, et particulièrement des figures géométriques et naturelles. Quant à concilier ces deux concepts, la démarche participe d’une association un peu spéciale où deux entités pour le moins opposables sont amenées à s’imbriquer l’un dans l’autre pour porter – transmettre une conception du monde par le biais des arts plastiques. En pareille circonstance, l’outil théorique se révèle d’une importance considérable.
Lors d'une séance de travail Polycarpe acroupi à droite
Dans son approche, l’artiste met à caution le pouvoir de la peinture pour engendrer de par elle-même des formes à peine définies – ébauchées, dotées de la mission de provoquer d’intenses émotions sur les spectateurs, et particulièrement orientées vers le sanctuaire vodou. Le but serait que la peinture puisse enfin, au même titre que le tambour, la danse et le chant déclencher des vagues d’émotions chez un initié, capable de le pousser à la transe pran lwa.
Polycarpe peint comme on trace un vêvê penché en avant sur le support étalé par terre devant lui, parfois sous ses genoux ou sous ses pieds. À la manière des maîtres de l’Expressionnisme Abstrait, l’artiste jette ça et là les couleurs sur la surface ouverte et disponible, avant de les articuler en un certain désordre. Dans son œuvre, ce sont les couleurs elles-mêmes qui mènent la danse, créent le mouvement, musclent le ventre mou au hasard des nuances et des contrastes simultanés.
Cette volonté mystique qui se veut irrationnelle on ne peut plus, pousse Polycarpe à interroger le rôle des lignes dans l’organisation de l’espace pictural. On est dans un univers fait d’émotions sublimées, traversé par une vibration mystique, comme un clin d’œil sur les premiers moments de l’apparition de l’art. En même temps, l’artiste voit dans cette manière d’appréhender le réel comme le moyen de créer une beauté profondément humaine et enrichissante, de construire un au-delà autrement équilibré, digne d’une humanité régénérée.
Hébert Polycarpe continue de développer sa théorie qu’il expérimente à travers une production complexe et plurielle, qui ne se limite pas uniquement à la peinture. Au niveau de la sculpture et dans d’autres médias, il poursuit cette quête du beau et de la vérité qui a toujours hanté les rêves des plus grands maîtres depuis les temps les plus reculés.