samedi 20 août 2011

Regards Critiques


BROTHER, I’M DYING 
Un roman d’Edwige Danticat
Par Prince Guetjens
                                                                                                         Haiti Liberté 29 Juin 2011
Entre la réalité sensible et le rendu poétique la distance semble se rétrécir, ou mieux, disparaître, quand elle est courtisée par la galanterie d’un artiste. Il doit, à n’en pas douter, exister mille manières de lectures de la mémoire de famille de l’écrivaine Edwige Danticat, mais de mon point de vue, quel que soit l’angle choisi pour l’appréhender, ne pas tenir compte de sa magie à fondre en une même troisième ces deux entités, pourtant, par moments antagoniques, ce serait gommer une part importante de la créativité de l’oeuvre.
Salué par une assez large frange de critiques aux Etats Unis d’Amérique et ailleurs, particulièrement par des plumes crédibles tapies dans l’ombre de The New York Times Review, USA Today, Vogue, The Boston Globe, Los Angeles Times Book Review, The Washington Post Book World, San Francisco Chronicle comme le meilleur livre de l’année. Brother I’m Dying offre le profil d’une œuvre sincère. Sursaut autobiographique d’une sereine fidélité le livre d’Edwige Danticat tente surtout d’être l’expression d’un vécu, qui envahit l’espace du lecteur par jets successifs parfois en dents-de-scie, un peu comme pour lui laisser le temps de respirer avant de replonger.
L’Auteure du best-seller américain The Dew Breaker soumet à travers ce livre le récit émouvant d’une vie remplie d’événements simples, souvent ponctuée  d’inattendues. Et son mode opératoire laisse peu de place à l’artifice ou à la pitié. S’écartant des clichés du monde occidental vis-à-vis du Vodou, Edwige suggère cette réalité avec une simplicité qui écarte d’emblée toute tentative de l’enrober dans une représentation banale. Elle a une manière bien à elle de dire l’absence de dichotomie véritable entre des entités opposables d’une même culture, qui met en déroute des idées fixes, malgré leur tendance à durer ; cet oncle protestant, qui prie le Dieu des Chrétiens et consulte en même temps le Hougan qui lui administre des medsin fèy, est d’une singulière fraîcheur.
Brother, I’m Dying est construit dans un univers animé par des personnages attachants, des êtres gonflés d’émotion qui rient, souffrent, chantent, enfin qui vient. Des personnages qui ont accompagné cette petite fille jusqu’à l’âge adulte comme cette tante, cet oncle et ce père. Prise dans l’euphorie de raconter ce merveilleux teinté de réel, la plume s’est laissé aller à parler du lieu de l’adolescente qu’elle n’est plus depuis longtemps. Dans la même veine, elle n’a pas pu résister de tomber dans le panneau fataliste d’une « Haïti incapable de prendre soin de ses enfants sans le support des voisins » ; cet oncle qui déteste, on ne peut plus, les Etats-Unis d’Amérique et qui finit par s’y émigrer pour échapper aux difficultés du quotidien dans son pays, en dit long.
Brother, I’m Dying est un long poème d’amour dédié à la vie. C’est un éclairage sur le parcours chaotique d’une femme extraordinaire, d’une écrivaine, d’une amoureuse de la vie montrée dans des circonstances plutôt exceptionnelles. L’obstacle du recul n’a pas empêché à l’auteure de conter sa trajectoire avec une verve et dans une rare clarté. Ce qui nous pousse à prendre refuge sous le manteau d’Edgar Morin argumentant dans Amour, Poésie, Sagesse la thèse selon laquelle l’être humain indépendamment de sa culture produit deux langages ; un rationnel et un autre symbolique. Dans le livre d’Edwige parfois ces deux langages sont juxtaposés, mêlés, qui semble vouloir nous forcer à pousser la logique jusqu’à Fernando Pessoa et parler de deux êtres en chacun de nous.
Avec Brother, I’m Dying Edwige Danticat a confirmé en 2007 tout le bien que la critique avait dit d’elle à la parution de The Dew Breaker, The Farming of Bones, Krik ? Krak ! et Breath, Eyes, Memory. Il faut souligner aussi que Brooklyn College vient de faire le choix de Brother, I’m Dying, comme lecture imposée de l’année académique 2011-2012 pour les étudiants qui arrivent à l’automne. C’est un hommage rendu à cette plume remarquable, mais aussi à notre pays Haïti.
Brother, I’m Dying, c’est un livre qu’il faut lire absolument.


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