Azor : cette voix qui pousse à la transe
Un Sanba d’envergure tire sa révérence
Des funérailles nationales pour Azor
Par Prince Guetjens
Critique d’art
à Ingrid, Manbo Béa, Manbo Carly, Mètrès Zili.
Je venais d’entamer la rédaction d’un texte sur le choix des motifs et le symbolisme vodou dans l’univers pictural d’André Pierre, quand la nouvelle de la mort de mon ami Lenord Fortuné dit Azor, m’arrivait comme un coup de poing sur la gueule. Alors, il est superflu de vous décrire avec quel empressement j’ai rangé les quelques lignes que j’avais déjà concoctées pour l’article sur ce maître de la peinture haïtienne, pour me consacrer à pondre un papier hommage au Barde national de la musique vodou.
Selon les informations recueillies Azor aurait rendu l’âme dans la nuit du 16 au 17 juillet dernier, dans un centre hospitalier à Mirebalais, en revenant d’une prestation à la ville bonheur, Saut d’eau, à l’occasion de la fête du mont carmel. Il vient de succomber à une hypoglycémie qu’il a difficilement supporté pendant plusieurs années. Et à l’instar des grands artistes, Azor va rester vivant de nous tous, à travers ses chants, même si les péristyles, les parcours carnavalesques, les rendez-vous champêtres et les bals n’auront plus le privilège de le voir sur scène.
Comme c’est le cas pour la plupart des talents issus du milieu paysan ou des milieux populaires l’émergence d’un Azor ; Sanba adulé et respecté de toutes les classes sociales du pays et de la diaspora haïtienne relève presque du hasard. L’artiste « Azor aurait sans doute gardé son modeste statut anonyme de percussionniste accompagnateur encore longtemps dans le corps de musique de la troupe de danse folklorique Bakoulou dirigée par Odette Wiener, si un journaliste canadien n’avait pas salué sa performance dans un article de journal à l’occasion d’une prestation au Café des arts vers la fin de la décennie’80. C’est courant en Haïti où assez souvent le coup de pouce d’un blanc, tel qu’il soit, s’avère indispensable pour consacrer un artiste ou un écrivain. Séquelles de l’esclavage déplorent certains, ignorance pour d’autres. Il paraît qu’on ne peut s’affranchir totalement de trois cents ans d’esclavage en deux cents ans d’indépendance. Réduit à imiter le maître qu’il a pour seul modèle, plus l’esclave est instruit à l’école créée par les anciens colons plus il demeure esclave »1.
Dans une orientation esthétique différente, on peut dire que Sanba Azor a marché sur les traces de son maître Wawa. Maîtrisant à fond les deux principaux instruments (tambours et voix), utilisés dans le courant musical qu’il a décidé d’adopter, Azor avait toutes les chances de briller, parce que la musique passe avant tout par la maîtrise d’un instrument. Contrairement à son professeur qui picore un peu partout à travers les rythmes, lui, il avait choisi de jouer presque uniquement le Pétro ; ce rythme guerrier qui descend de la danse créée en 1769 par un Hougan noir de Petit Goave d’origine espagnole du nom de Don Pedro.
Ce rythme qui utilise les trois principaux tambours et d’autres tambours qu’il place dans un rôle de basse distille une tension par trop excitante. Soutenue par le kick produit par un (Drum machine) servant de poteaux aux tambours et enrichie par les voix aiguës des femmes (jusqu’à six, certaines fois), les paroles émises par la voix percutante d’Azor ; cette voix qui pousse parfois à la transe, n’ont qu’à surfer sur une toile construite pour elles par avance. Les tambours au sein de Racine Mapou sont joués par des virtuoses du Pétro. Ces mains expertes qui exécutent la nappe musicale, pour accueillir la voix juste de ce chantre hors du commun, sont d’un apport considérable dans la mise sur orbite de l’idole qu’est devenu Azor.
Il n’est plus un secret pour personne qu’au cours de ces quinze dernières années, Racine Mapou de Azor s’est hissé comme la formation de musique vodou la plus célèbre en Haïti et à travers le monde. En Haïti, c’est le groupe le plus sollicité et pendant les trois jours gras, le groupe que le public attend sur le parcours. Un peu partout à travers le monde et particulièrement au Japon il est souvent accueilli comme un prince. Il y a même des posters géants de notre Idole nationale à Tokyo.
Avec le départ de l’artiste Azor, le pays vient de perdre un de ses fils les plus dignes. Un fils qui a mérité de la nation et de notre culture. Il fut un véritable ambassadeur de la culture haïtienne partout où sa musique a fait des fanatiques. Voilà quelqu’un qui mérite des funérailles nationales.
Azor / La voix qui a percé un passage / À travers l’indifférence / Vient de s’éteindre / C’était un Sanba / Un ami et un frère / Azor vient de tirer sa révérence / Comme plus d’un il a connu l’exclusion / S’est battu pour exiger reconnaissance / Et le respect ; il a eu gain de cause / Tu n’as rien à regretter / Le temps de ta courte vie / Tu as fait battre les cœurs / Et conquis le monde.
À l’instar d’un Antalcidas Murat, d’une Lumane Casimir, d’un Wébert Sicot ou d’un Coupé Cloué, Azor a taillé sa place au cœur de la postérité. Chapeau vieux frère.
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1. Prince Guetjens, La Scission de 1950 ; la mise en échec de la peinture populaire haïtienne au Centre d’art haïtien 1945-1950 (essai).
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