samedi 20 août 2011

Regards Critiques

La Victime Accusée
Le second roman de Jackson Rateau
par Prince Guetjens
                                                                                                  Haiti Liberté 13 Juillet 2011                

Point n’est besoin de soutenir que pour pondre un bon roman, une belle histoire s’avère indispensable. Mais est-ce suffisant ?
            Toute la trajectoire de l’histoire du roman est jonchée d’exemples qui tendent à soutenir le contraire. Certains ont même opté pendant une certaine période de ne point s’embarrasser d’une histoire. À ce stade, j’aimerais adresser un clin d’oeil aux initiateurs du Nouveau Roman ; expression due à Emile Henriot, qui l’employa dans un article du Monde, le 22 mai 1957, pour rendre compte de La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet et de Tropisme de Nathalie Sarraute. Pour l’essentiel les tenants de ce courant contestaient le roman de type balzacien. Leur démarche était influencée par des romanciers étrangers (Kafka, Virginia Woolf, Stendal), mais aussi par L’Étranger d’Albert Camus et La Nausée de Jean-Paul Sartre. Leur dénonciation fondamentale visait le personnage traditionnel, « reflet d’une confiance surannée dans la nature humaine ». Cette proposition a fortement marqué le roman en Europe, sans parvenir à changer radicalement le cours des choses, puisque l’histoire dans le roman traditionnel s’est raffermie vers la fin du XXè siècle.         
            Je dois reconnaître qu’il est peu évident, quand on ne dispose pas de recul nécessaire de pouvoir présenter une oeuvre quelconque, sans glisser dans l’encensement, la méchanceté ou la condescendance. Et quand on est confronté à un problème d’éthique (c’est le cas pour moi, puisque j’ai émis des suggestions de correction pour l’un des chapitres de ce livre), le mieux serait peut-être de prendre ses distances, mais comment résoudre l’équation quand on n’a pas ce choix.
            D’emblée, il faut reconnaître que l’écriture du La Victime Accusée suit un cheminement en dents-de-scie. Le sujet plutôt banal de cet émigré revenu en Haïti après vingt-cinq ans, qui par un heureux hasard se retrouve millionnaire, se trouve aussi être infecté par le mal du siècle, et qui sans aucun scrupule décide de contaminer des femmes, n’a rien d’original. Cependant la manière de dire, ajoutée aux figures résultantes d’une certaine maîtrise des matériaux pourraient largement compenser.
            Après trois mois d’exploits sexuels, les dégâts causés par cet homme sont énormes, voire désastreux. C’était comme planifié, la bourrasque qui emporterait les jeunes de ce pays, telle la moindre particule de poussière.
            Dans ce pays tiers-mondiste, pauvre, très vulnérable quant à la propagation de ce mal, elles sont cent mille fois ciblées, exposées, ces jeunes filles.
            Il ne fait pas de doute que les outils utilisés n’étaient pas suffisamment aiguisés pour rendre, au-delà même de la volonté de montrer, l’œuvre dans toute son acuité. Ce qui confirme qu’entre concevoir et rendre la paroi est plutôt étanche.
La Victime Accusée ; un drame humain qui se déroule dans un milieu peu accueillant où, conseillés par la misère, hommes et femmes se jettent aveuglément dans une lutte acharnée pour la survie. Tiraillés par l’usure du temps et les violences du quotidien, ils s’abêtissent au fur et à mesure, au point de ne plus mériter de l’humanité. Convaincu de la fragilité de sa plume sur ce terrain rocailleux, l’auteur adoucit par moments.
            Comme toujours, les arbres et les plantes constituant la petite forêt endormie surveillaient le petit château majestueusement perché le haut du tertre. Le sol drapé d’ombres disparates reçoit la lumière du soleil qui se déployait tel un souffle magique. Le cri d’un coq qui s’égosillait non loin entre les arbres se confondait avec le ronflement de la jeep qui s’arrêtait tout à coup près de la grande barrière. Comme un roulement de tambour, un roucoulement de ramiers alterné avec le chant d’un rossignol provenant du fourré, animait toute la cour, tandis qu’un peu plus proche du château, à l’arrière, un oiseau charpentier toquait sur un palmier ; son bec, tel un burin d’acier, fouillait très fort à toutes les heures pour terminer la besogne de la besogne […], déjà prête pour la prochaine pondaison.
Écrire un livre, c’est s’exposer en vue d’accéder à la postérité. C’est gravir les marches de la reconnaissance collective. Mais c’est aussi prêter le flanc.
Jackson Rateau, à travers ce livre, s’est colleté à un tabou, et les tabous ayant la vie dure sont de nature exigeante, quant aux moyens de les approcher. Le livre est ponctué de lieux communs, de problèmes de syntaxe, de figures de style ou même de fautes d’orthographe dues, sans doute, au fait qu’il n’a pas été soumis à une maison d’édition dotée de professionnels, capables d’y mettre la dernière main en vue de l’améliorer. Les images sont de moins en moins convaincantes, parfois essoufflées, souvent pauvres. Ce qui résulte sans doute de l’organisation des mots qui les ont vu naître.Toutefois l’histoire tient la route.
            Ce deuxième roman ne montre pas l’auteur sous son vrai jour. Je sais qu’il dispose de meilleures cordes à son arc. La Victime Accusée entre d’emblée dans l’histoire de la littérature haïtienne, quitte à être dans l’anti-chambre de l’écriture. J’attends avec impatience le prochain livre de Jackson Rateau, pour confirmer tout le bien que je pense de lui comme écrivain.    
            La Victime Accusée est un roman de 164 pages, publié à compte d’auteur chez Trafford Publishing, USA, Avril 2011.
            La Victime Accusée, un roman qu’il faut à tout prix.

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