mercredi 11 janvier 2012

Regards Critiques


La révolution haïtienne au New-York Historical Society
Une exposition à prendre avec des pincettes



Prince Guetjens
Empereur Jean Jacques Dessalines
Le père de la Nation Haïtienne
    Jusqu’en avril 2012 prochain, une exposition d’histoire de la révolution des Etats Unis d’Amérique, d’Haïti et de France se tient au New-York Historical Society Museum (NYHS) à l’ouest de Central Park. L’exposition réunit une somme considérable de documents sur l’histoire des deux premières grandes révolutions réalisées sur le continent américain ; la révolution américaine et haïtienne avec les implications des puissances esclavagistes de l’époque, ainsi que la révolution française. Cette manifestation présente pour l’une des rares fois au grand public, des pièces jusqu’ici considérées comme inédites. Plusieurs semaines après l’ouverture, elle continue de mobiliser des dizaines de spectateurs tous les jours.
    Rien n’a été laissé au hasard pour faire de cette activité l’une des plus réussies de l’année dans ce secteur bien précis. Les acteurs, les événements, les lieux, la pensée dominante de l’époque ainsi que l’organisation de l’espace sont disposés avec rigueur pour accueillir ces brides d’un passé parfois tourmenté, mais révélateur de la capacité de l’homme à s’adapter et ensuite à surmonter les situations les plus inimaginables.
     L’exposition s’ouvre à l’entrée du second étage de ce bâtiment dont l’architecture rappelle les temples grecs du savoir et de la connaissance, avec une description écrite dans les trois langues (Haïtien, Anglais, Français) de la situation géopolitiques de la région des Caraïbes au XVIIe siècle.  Cette brève description démontre la primauté de l’Angleterre devenue maîtresse des mers au lendemain de la guerre de sept ans.
    Pour une des rares fois la religion de la majorité des Haïtiens, le Vodou est démystifié, montré sous un jour favorable. La narration de la professeure haïtienne Rachelle Beauvoir Dominique dite en Haïtien sur la définition du Lakou, dans les communautés religieuses vodou est d’une rare clarté.
   Une exposition étant toujours l’expression de la manifestation de ce qu’on pourrait appeler un devoir de mémoire n’est jamais totalement neutre et même souvent idéologiquement orientée.
    C’est le cas pour le bloc se rapportant à l’histoire de la révolution haïtienne dont la marche décisive a été initiée avec la cérémonie du Bois Caïman le 14 août 1791 pour aboutir le 1er Janvier 1804, jour de la fondation officielle de la nation haïtienne. Cette tranche d’histoire particulièrement importante dans le devenir de l’émancipation de tous les peuples qui vont émerger des marrées nauséabondes de l’esclavage vers la création d’une nation est souvent gommée par l’Occident, qui n’a jamais rien négligé pour banaliser la personnalité des véritables combattants.
Dutty Boukman
À la cérémonie de Bois Caïman
    À chaque fois il (l’Occident) pousse en avant-plan le Gouverneur général de la colonie française de Saint-Domingue le général en chef Toussaint Louverture, comme étant le principal fondateur de la nation haïtienne. Alors que, depuis belle lurette, on sait qu’il s’agit d’une modulation de l’histoire. Ils ont pratiquement ignoré Mackandal, Boukman et tous les autres. On peut fort bien comprendre la gratitude de la France vis-à-vis de son jacobin noir, mais de là à investir autant de ressources pendant autant d’années pour immoler la mémoire des véritables pères de la nation haïtienne, c’est un peu tordre le cou à l’histoire.
    Il est aisé de comprendre pourquoi ce penchant des anciens esclavagistes, qui va à contre courant de l’histoire. Toussaint Louverture il est vrai optait que pour l’abolition de l’esclavage et l’autonomie de l’île en conservant la main mise de la France. Il a beaucoup de mérites puisqu’il a sacrifié son statut d’affranchi propriétaire foncier, possédant des esclaves travaillant sur son habitation pour embrasser la cause des non libres en rejoignant Jean-François et Biassous après l’exécution de Dutty Boukmann.
    D’un autre côté, il y a le général de division Jean Jacques Dessalines qui a gravi tous les échelons dans cette lutte pour l’émancipation des esclaves, donc de l’humanité. Dessalines fut le seul militant  qui a rejoint la bataille dès le coup d’envoi le 14 aout 1791 jusqu’à la victoire finale le 18 novembre 1803. Aucun autre n’a connu ce parcours. Il a gagné ses médailles et celles de son chef Toussaint sur le champ de bataille. Sans Dessalines Toussaint ne pourrait jamais pu pacifier le Sud d’André Rigaud, condition sine qua non, pour entamer la lutte pour la liberté. Ce fut encore lui qui a rendu l’espoir aux combattants haïtiens en tenant en échec les garnisons de Leclerc devant le fort de La Crête à Pierrot.
    N’est-ce pas Dessalines qui avait conseillé à son chef au moment où celui-ci allait jeter ses armes au pied du général Français Leclerc, d’attendre la saison des pluies parce qu’il serait moins difficile de combattre les envahisseurs de l’armée napoléonnienne.
Makandal
Le précurseur de l'indépendance d'Haïti
     L’Occident reproche souvent au père de la francophonie d’avoir exécuté quelques Français pendant la guerre de l’indépendance haïtienne. Mais l’amnésie chronique a évacué de leur mémoire les crimes et les massacres perpétrés sur des Haïtiens par des criminels comme Rochambeau, Leclerc, qui prenaient beaucoup de plaisir à enterrer des nègres vivants, en ne laissant à l’air libre que leur tête enduite de miel ou de sirop de canne, pour être mangé par les fourmis jusqu’à ce que mort s’ensuive.
    N’en déplaise aux bien pensants, depuis quelque temps nous avions pris, la bonne habitude de regarder notre histoire et celles des peuples avoisinants à partir de notre propre lentille, à partir de l’intérieur. Le temps où nous répétions sans trop en comprendre le sens « nos grands pères les Gaulois » est bien révolu.
    Les curateurs ont réuni les matériaux qu’il fallait pour monter une très bonne exposition, mais, cette fois encore, l’option de privilégier l’angle de vue des anciens colonisateurs a eu le dessus. N’était-ce pas ces faux-pas, ce serait vraiment une aubaine pour ceux qui découvrent ou entreprennent des recherches sur l’histoire d’Haïti de visiter cette exposition. Mais l’orientation choisie a fragilisé la démarche dans sa totalité. C’est donc une exposition à prendre avec des pincettes.

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