samedi 21 janvier 2012

Regards Critiques





Des Lignes, des Points et autres Envolées
Les derniers dessins de Jean-Yves Jason
Prince Guetjens
                                                                                                                    Haïti Liberté New York 18 Janvier 2012
Detresse
J’ai  vu grandir, j’ai participé depuis plus d’une quinzaine d’années à l’émergence d’une kyrielle d’artistes (sculpteurs, peintres, musiciens, danseurs et comédiens) en Haïti, en leur offrant le soutien de ma plume. À l’instar d’un Louis Leroy pour l’Impressionnisme (1874) et d’un Louis Vauxcelles pour le Fauvisme (1905), le Cubisme (1908) j’ai accompagné certains jeunes créateurs sur les fonts baptismaux.
Contrairement à ces mouvements artistiques qui puisent leur nom d’un article leur tournant en dérision ou d’une plaisanterie de mauvais goût. Le mouvement Atis Rezistans de bas grand-rue conduit par les sculpteurs Eugène et Céleur adopte le titre du premier article de journal consacré à leurs travaux, que nous avions signé dans Le Nouvelliste en Eté 2001, intitulé : Les Fers de la Résistance.
Nous avions pris ce raccourci pour présenter les dessins de l’artiste Jean Yves Jason, parce que justement il a été à la base de cette démarche, que l’on pourrait appeler une découverte. En effet, c’est lui, qui est venu me cueillir à l’Ecole Nationale des Arts, ce midi-là pour m’emmener voir ces sculpteurs de la récupération, å l’époque, encore dans l’ombre le plus opaque. Et dès le lendemain matin quand le journal est paru dans les bacs, tous les « concernés » du monde de l’art de la capitale haïtienne (marchande de tapis, affairistes, historiens, critiques d’art et amateurs d’art) sont accourus sur les lieux.
Jouda
Bien avant cette époque, l’artiste tapi en Jean-Yves, profitait des moindres incartades pour dire le besoin de s’exprimer. Souvent sur les serviettes, les bouts de carton, sur les sous-mains et sur d’autres supports périssables dans son espace de travail, il alignait des dessins qui éveillaient la curiosité.
Au cours de ces derniers mois, il m’a été donné d’apprécier les récentes créations de ce talent, non encore assumé, doté, d’un crayon sur fond uni et d’une dextérité qui déclenche spontanément la sympathie et le respect de peintres confirmés. Je vais tenter, le temps de cette brève observation, une lecture succincte de la démarche de l’artiste. Ce clin d’œil qui se veut éclaireur permettra au grand public de découvrir les promesses que cache cette générosité dont les frontières sont à peine perceptibles.
« Détresse » adresse un regard tout à fait particulier, chargé d’un désintéressement - dévouement voilé sur le quotidien immédiat. L’attrait de cette jeune personne représentée dans ce vitrail réalisé au crayon n’augure pas la promesse de l’eau au-delà du désert.
Fissures
« Jouda » ne soumet pas mieux que ces deux yeux pris pour cible depuis l’angle de vue du spectateur, empêchant ainsi toute complicité avec ce regard depuis l’autre côté du mur. Comme s’il suffisait d’être des deux côtés du ravin dans un même territoire pour que nos revendications soient contradictoires.
Ni blanc ni noir, ni Marx ni Jésus, le crayon se laisse aller à des crevasses pour cueillir des envoûtements dans l’antre infréquentable née des « Fissures » non encore colmatées de notre société. Ces blessures ouvertes, béantes, toujours pas cicatrisées qui entravent toutes nos tentatives d’être et que certains ne s’embarrassent guère d’utiliser pour paraître, semblent nous rappeler que nous sommes en retard d’une discussion. Toutefois les « Nuances » suggérées par l’audace de cette quête d’esthétique force à admettre la nécessité de voir les choses avec une certaine distance. Une distance qui permet à la fois de penser - panser les dérives en posant parallèlement les balises pour empêcher que demain ne soit la copie d’hier.
Nuances
« Zakamede » intervient dans ce débat avec beaucoup d’autorité. Cette divinité très respectée dans le panthéon du Vodou haïtien est montrée par l’artiste dans un univers pour le moins tourmenté, bouleversé, paisible en surface, un profil trompeur, le calme avant la tempête. La pâleur que dégage l’aura de cette fée aux mensurations faites de coquillages, de fleurs, de racines et autres libertés bousculent dans un contraste débraillé toute étincelle d’équilibre et d’harmonie vue à la lentille de l’Occident. Il paraît que le personnage ainsi que l’environnement dans lequel ils évoluent, émane de la spirale au premier plan de l’œuvre.
D’un trait sûr, le crayon de Jean Yves Jason avance sur le support avec une confiance qui culbute aux calendres grecques le moindre défaitisme. Nées des envolées de ces points et de ces lignes libres de toute entrave académique, les formes, parfois opulentes, sans donner dans le factice, qui vont naître ne connaîtront de limite que l’immensité de vue du créateur. Les objets et les signes reconnaissables dans la vie courante figurant dans ces dessins témoignent de la facilité de l’artiste à les exécuter, en dénonçant dans le même élan toute tendance à s’installer ou à ne pas se démarquer de la servitude des figures naturalistes.
Espérons que les roses soient à la dimension de la promesse des fleurs.

mercredi 11 janvier 2012

Regards Critiques


La révolution haïtienne au New-York Historical Society
Une exposition à prendre avec des pincettes



Prince Guetjens
Empereur Jean Jacques Dessalines
Le père de la Nation Haïtienne
    Jusqu’en avril 2012 prochain, une exposition d’histoire de la révolution des Etats Unis d’Amérique, d’Haïti et de France se tient au New-York Historical Society Museum (NYHS) à l’ouest de Central Park. L’exposition réunit une somme considérable de documents sur l’histoire des deux premières grandes révolutions réalisées sur le continent américain ; la révolution américaine et haïtienne avec les implications des puissances esclavagistes de l’époque, ainsi que la révolution française. Cette manifestation présente pour l’une des rares fois au grand public, des pièces jusqu’ici considérées comme inédites. Plusieurs semaines après l’ouverture, elle continue de mobiliser des dizaines de spectateurs tous les jours.
    Rien n’a été laissé au hasard pour faire de cette activité l’une des plus réussies de l’année dans ce secteur bien précis. Les acteurs, les événements, les lieux, la pensée dominante de l’époque ainsi que l’organisation de l’espace sont disposés avec rigueur pour accueillir ces brides d’un passé parfois tourmenté, mais révélateur de la capacité de l’homme à s’adapter et ensuite à surmonter les situations les plus inimaginables.
     L’exposition s’ouvre à l’entrée du second étage de ce bâtiment dont l’architecture rappelle les temples grecs du savoir et de la connaissance, avec une description écrite dans les trois langues (Haïtien, Anglais, Français) de la situation géopolitiques de la région des Caraïbes au XVIIe siècle.  Cette brève description démontre la primauté de l’Angleterre devenue maîtresse des mers au lendemain de la guerre de sept ans.
    Pour une des rares fois la religion de la majorité des Haïtiens, le Vodou est démystifié, montré sous un jour favorable. La narration de la professeure haïtienne Rachelle Beauvoir Dominique dite en Haïtien sur la définition du Lakou, dans les communautés religieuses vodou est d’une rare clarté.
   Une exposition étant toujours l’expression de la manifestation de ce qu’on pourrait appeler un devoir de mémoire n’est jamais totalement neutre et même souvent idéologiquement orientée.
    C’est le cas pour le bloc se rapportant à l’histoire de la révolution haïtienne dont la marche décisive a été initiée avec la cérémonie du Bois Caïman le 14 août 1791 pour aboutir le 1er Janvier 1804, jour de la fondation officielle de la nation haïtienne. Cette tranche d’histoire particulièrement importante dans le devenir de l’émancipation de tous les peuples qui vont émerger des marrées nauséabondes de l’esclavage vers la création d’une nation est souvent gommée par l’Occident, qui n’a jamais rien négligé pour banaliser la personnalité des véritables combattants.
Dutty Boukman
À la cérémonie de Bois Caïman
    À chaque fois il (l’Occident) pousse en avant-plan le Gouverneur général de la colonie française de Saint-Domingue le général en chef Toussaint Louverture, comme étant le principal fondateur de la nation haïtienne. Alors que, depuis belle lurette, on sait qu’il s’agit d’une modulation de l’histoire. Ils ont pratiquement ignoré Mackandal, Boukman et tous les autres. On peut fort bien comprendre la gratitude de la France vis-à-vis de son jacobin noir, mais de là à investir autant de ressources pendant autant d’années pour immoler la mémoire des véritables pères de la nation haïtienne, c’est un peu tordre le cou à l’histoire.
    Il est aisé de comprendre pourquoi ce penchant des anciens esclavagistes, qui va à contre courant de l’histoire. Toussaint Louverture il est vrai optait que pour l’abolition de l’esclavage et l’autonomie de l’île en conservant la main mise de la France. Il a beaucoup de mérites puisqu’il a sacrifié son statut d’affranchi propriétaire foncier, possédant des esclaves travaillant sur son habitation pour embrasser la cause des non libres en rejoignant Jean-François et Biassous après l’exécution de Dutty Boukmann.
    D’un autre côté, il y a le général de division Jean Jacques Dessalines qui a gravi tous les échelons dans cette lutte pour l’émancipation des esclaves, donc de l’humanité. Dessalines fut le seul militant  qui a rejoint la bataille dès le coup d’envoi le 14 aout 1791 jusqu’à la victoire finale le 18 novembre 1803. Aucun autre n’a connu ce parcours. Il a gagné ses médailles et celles de son chef Toussaint sur le champ de bataille. Sans Dessalines Toussaint ne pourrait jamais pu pacifier le Sud d’André Rigaud, condition sine qua non, pour entamer la lutte pour la liberté. Ce fut encore lui qui a rendu l’espoir aux combattants haïtiens en tenant en échec les garnisons de Leclerc devant le fort de La Crête à Pierrot.
    N’est-ce pas Dessalines qui avait conseillé à son chef au moment où celui-ci allait jeter ses armes au pied du général Français Leclerc, d’attendre la saison des pluies parce qu’il serait moins difficile de combattre les envahisseurs de l’armée napoléonnienne.
Makandal
Le précurseur de l'indépendance d'Haïti
     L’Occident reproche souvent au père de la francophonie d’avoir exécuté quelques Français pendant la guerre de l’indépendance haïtienne. Mais l’amnésie chronique a évacué de leur mémoire les crimes et les massacres perpétrés sur des Haïtiens par des criminels comme Rochambeau, Leclerc, qui prenaient beaucoup de plaisir à enterrer des nègres vivants, en ne laissant à l’air libre que leur tête enduite de miel ou de sirop de canne, pour être mangé par les fourmis jusqu’à ce que mort s’ensuive.
    N’en déplaise aux bien pensants, depuis quelque temps nous avions pris, la bonne habitude de regarder notre histoire et celles des peuples avoisinants à partir de notre propre lentille, à partir de l’intérieur. Le temps où nous répétions sans trop en comprendre le sens « nos grands pères les Gaulois » est bien révolu.
    Les curateurs ont réuni les matériaux qu’il fallait pour monter une très bonne exposition, mais, cette fois encore, l’option de privilégier l’angle de vue des anciens colonisateurs a eu le dessus. N’était-ce pas ces faux-pas, ce serait vraiment une aubaine pour ceux qui découvrent ou entreprennent des recherches sur l’histoire d’Haïti de visiter cette exposition. Mais l’orientation choisie a fragilisé la démarche dans sa totalité. C’est donc une exposition à prendre avec des pincettes.

mardi 10 janvier 2012

Regards Critiques


De l’Urgence de Promouvoir la Culture
Qu’en est-il de la Mission de la Télévision Nationale d’Haïti
6e partie

Prince Guetjens
     Dans le cadre de ces réflexions nous avons choisi d’analyser le cas de la Télévision Nationale d’Haïti, une institution parmi d’autres outils stratégiques dont dispose l’Etat Haïtien capables de participer à la tâche ô ! combien nécessaire d’émancipation de la culture dont le pays a tellement besoin aujourd’hui. On ne pourra pas sortir la tête de l’eau sans mettre à caution les ressources disponibles. En ce qui concerne la Culture et l’éducation, il existe des institutions créées vers la fin de la dictature duvaliériste, que le Ministère de la Culture peut réorienter dans le sens du bien collectif.
Pierre Raymond Dumas
Ministre de la Culture Haïtien
     Beaucoup de gens de la communauté haïtienne de New York du Canada et de la France se sont plaint de la « programmation » de la Télévision d’Etat qu’on dit aussi de service public pour employer un euphémisme, en ce lundi 2 Janvier ; le Jour des Aïeux. Tout de suite après les images du Président de la République, les téléspectateurs étaient assommés par un concert d’un Orchestre Philharmonique d’Europe. C’est à croire que nous n’avons pas de production artistique valable pour accompagner le peuple haïtien en un jour aussi faste. Le pire, c’est que cela se passe à un moment où nous avons au Ministère de la Culture un homme de culture, un écrivain, un intellectuel averti et un critique littéraire doté d’une ouverture éprouvée, Pierre Raymond Dumas.
    C’est, sans doute le moment de se poser les questions suivantes. La télévision Nationale d’Haïti continue-t-elle, comme sous le règne de René Préval, d’être un Etat dans l’Etat ? Continue-t-elle de se comporter comme une concurrente potentielle du Ministère de la culture, comme ce fut le cas au cours de ces cinq dernières années ? Qui ne se rappelle pas en Haïti de la lutte sans grandeur que cette institution a mené contre divers récipiendaires à ce poste comme, Daniel Elie, Olsen Jean Julien et Marie Laurence Jocelyn Lassègue ?
     Il  faudrait d’abord entamer la démarche de remettre en exergue nos valeurs, à partir des moyens dont nous disposons, de l’intérieur, avant de prétendre les montrer aux autres. La revendication de la contribution de notre pays à la modernité ne saurait avoir l’écho souhaité sans un travail en profondeur au niveau de notre mental. Je sais qu’il ne sera point aisé de surmonter trois cents ans d’esclavage en en peu plus de deux cents ans d’indépendance, compte tenu du fait que nos grands-parents avaient remis notre éducation aux mains de ceux-là même qui avaient soutenu ce système inhumain ; je veux parler des prêtres de l’église catholique et des Jésuites.
    Alors que nous aurions dû mettre nos ressources, particulièrement nos médias d’Etat d’abord au service de la promotion de l’Haïtianité, la critique, la repenser s’il y a lieu de le faire. Il se trouve que cette Télévision d’Etat subventionnée à partir des taxes des citoyens choisissent d’ignorer l’importance du jour des Aïeux, pour poursuivre dans sa quête de Rejete  en faisant la promotion de la culture des autres au détriment de la nôtre.
Télévision Nationale d'Haïti
    Les médias d’Etat, avant toute chose, devraient avoir pour mission d’appliquer la politique du Ministère de la Culture en matière d’éducation civique et autres, d’information et de promotion de l’homme haïtien. Ils devraient se mettre au service de leur Ministère de tutelle dans l’application de sa mission de « rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord d’Haïti, au plus grand nombre possible d’Haïtiens, d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres de l’art et de l’esprit qui l’enrichissent » 1.
     Je n’ai pas le moindre doute sur le fait qu’à l’heure actuelle en Haïti un Ministre de la Culture, quelles que soient sa personnalité et sa capacité de production ne puisse pas faire grand-chose. La situation étant ce qu’elle est le mieux qu’il est encore possible de faire, c’est de tenter de sauver les meubles. Mais tout au moins j’ai la certitude que l’actuel patron de la culture gagnerait à imprimer une autre orientation aux médias et aux autres institutions culturelles de l’Etat. Ce ne sera pas facile, compte tenu du laisser-aller qui a caractérisé le rapport entre la Télévision Nationale, la Radio Nationale d’Haïti avec leur instance de contrôle.
    En plus de ces institutions, d’autres organismes autonomes comme, l’Ecole Nationale des Arts, Le Musée du Panthéon National Haïtien, les Archives Nationales, Les Presses Nationales, Le Théâtre National, l’Institut de Sauvegarde de Patrimoine Nationale, la Bibliothèque Nationale, Le Bureau national du Droit d’Auteur, l’Office Nationale de l’Artisanat, la Direction Nationale du Livre sont autant d’arguments que le Ministère de la Culture peut utiliser dans le cadre d’un action concertée avec d’autres Ministères pour l’application des politiques publiques de la culture, que le pays attend.

Regards Critiques

De l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti
Comment revendiquer notre contribution à la modernité ?
5è partie

 Prince Guetjens 
    Toute la question est là, en étant ce que nous sommes devenus à cause de la lâcheté des uns et de l’ingratitude des autres comment pouvoir revendiquer quoique ce soit comme contribution à la modernité. On se retrouve dans une situation aujourd’hui, où il nous est presque impossible de blâmer qui que soit, quant au sort qui nous est infligés.
Louverture Poisson
    On peut toujours critiquer le comportement rétrograde et inhumain de l’Occident vis-à-vis de notre pays, qui pendant tout le 19è siècle représentait un phare dans toute la région caraïbéenne. Notre pays était un lieu de rêve, un ailleurs défini convoité où les habitants de la région caressaient l’envie de passer le reste de leur vie. Les visiteurs arrivaient de partout pour se prosterner devant notre histoire, nos monuments, nos citadelles. Ce qui raffermissait fierté. Mais, force est de souligner que les « pays amis d’Haïti », syllogisme utilisé pour désigner les anciennes puissances esclavagistes qui ne pardonneront jamais au peuple haïtien son insolence d’avoir renversé le statut quo ante politico-économique mondial au début du 19è siècle.
    On peut tout aussi bien dénoncer la traîtrise et le reniement de frères dénaturés issus de toutes les catégories sociales ayant courbé l’échine par lâcheté ou par avarice en travaillant au détriment des intérêts fondamentaux de la nation. On aura beau les blâmer pour ces fautes impardonnables, mais ils finiront toujours par bénéficier de circonstance atténuante, quand on sait à quelle école ils ont été formés, à quelle moule ils ont été modelés.
    Au lendemain de l’indépendance et de ce que les détracteurs du père de la nation appellent « le massacre des Français » - comme si ces derniers n’avaient pas massacré nos grands parents pendant près de trois cents ans - l’éducation des petits Haïtiens a été confiée à l’église catholique. C’est ce que j’appelle le premier moment de la contre-révolution. Le Christianisme qui avait jusque-là soutenu et encouragé les vols, les viols, les massacres, les pillages, les génocides perpétrés par les Européens contre les peuples de l’Amérique, allait au fur et à mesure replacer la chaîne de l’esclavage dans le mental de notre peuple. Nos grands parents qui venaient de chasser l’armée napoléonienne du territoire ne savaient pas que les militaires étaient moins dangereux que les idéologues ; les prêtres, les professeurs, quant à l’abêtissement  - asservissement de plusieurs générations d’ Haïtiens depuis 1804.
Ayiko Dance
   Nous venions de remporter la bataille politique, économique et militaire. De leur côté, ils commençaient au même moment de poser les balises pour une bataille idéologique et intellectuelle qu’ils ont fini par gagner. Aujourd’hui, ils n’ont pas besoin d’intervenir pour nous vaincre. Ceux qu’ils ont formés se sont montrés aptes à faire le travail. Ce ne sont plus les étrangers qui dénigrent notre culture, notre mythologie, notre histoire, notre langue, notre couleur, la tache est confiée à d’autres Haïtiens. Nous devrions reconnaître que leur formule a été efficace. Ils ont repris le contrôle du territoire, sans un coup de fusil, comme dirait Serge Beaulieu.
      Nous ne parlons pas d’une infirme minorité d’Haïtiens dans cette situation, il s’agit de la majorité, au rang de laquelle on retrouve des illettrés comme des intellectuels, des politiques comme des religieux, des gens du peuple comme de la bourgeoisie, des mulâtres comme des noirs foncés, des fils de Gòldenbè comme des fils de Sò Yèt, des réactionnaires comme des militants. Le pire, c’est que pour la plupart ils se trompent de bonne foi. Il suffit de leur parler un instant pour voir à quel point ils aiment leur pays. Les rescapés de ce génocide mental fomenté par l’école des anciens colons sont peu nombreux et disposent de peu de moyens pour permettre à cette grande majorité d’accéder à la lumière.
    La contribution d’Haïti à la modernité est à inscrire dans la panoplie de l’apport des autres peuples dans la longue marche de l’histoire de l’humanité. Émergée d’un système d’exploitation de l’homme par l’homme, Ayiti fut pendant  longtemps le cobaye  principal dans une expérience moderne de l’esclavage. Une expérience brutale, sanguinaire et criminelle qui s’est révélée néfaste à cause des moyens utilisés par la France en vue d’une meilleure exploitation de cette force de travail. Rien ne fut écarté comme outils répressifs ; torture, exécution, conversion, pour pousser la machine à fonctionner à plein régime, et certaines fois au-delà.
   De cette situation inhumaine apparût la notion de Liberté ; fer de lance impitoyable, qui sert aujourd’hui de prétexte aux puissances militaires du monde pour intervenir dans les pays du Sud à d’autres fins.