dimanche 28 août 2011

Regards Critiques


 Hector Hyppolite : Le chef de file de la Peinture Populaire Haïtienne
Extrait de l'Essai : La Scission de 1950 : La mise en échec de la peinture populaire haïtienne au Centre d'Art Haïtien de Prince Guetjens


   La réalité de la peinture d’Hector Hyppolite se déroule dans un environnement onirique. Tout comme l’espace la réalité est entièrement créée pour se dérouler dans une logique qui défie toute rationalité. Sans jamais chercher à faire correspondre ses émotions à la réalité sensible, il leur donne forme et visage. Dans cet univers de rêve, les loas défilent sous nos yeux avec dignité au-delà de la censure. Cette censure qui s’est montrée à travers une expression violente quelques années plus tôt, à l’occasion de la croisade contre le vodou.
Grand Maître
   Au fond de cet univers merveilleux, l’enveloppe n’est pas vraiment d’une importance capitale. Ainsi elle est dépouillée à n’en plus finir  pour ne laisser émergés que les axes essentiels. Ces éléments charrient dans leur façon d’être signifiés, toute une panoplie de signes chargés sur le plan sémantique de culture populaire. Souvent l’environnement est supprimé pour être remplacé par des effets de nuage ou de brouillard stylisés, par  des branches, des nids d’oiseaux et autres motifs de décoration.
   Ce qui ne fait pas d’Hector Hyppolite un peintre indifférent aux dérives réalistes. Il lui arrive parfois de créer des espaces stables où  les personnages sont conçus en fonction des proportions et dimensions de l’environnement choisi. « La Sirène », « Sur la Route de Gressier », « La Chapelle de Milot », sont susceptibles de passer comme les plus réalistes paysages de la peinture haïtienne. “La Sirène” particulièrement, compte tenu du cadre réaliste profond et aéré qui le soutient, prouve s’il en était besoin, que la palette d’Hyppolite pouvait aussi suggérer la troisième dimension. Ce qui n’empêche à la Sirène d’évoluer/flotter en échappant à toute pesanteur.
   D’Hector Hyppolite Selden Rodman avait écrit : « A l’ opposé des autres primitifs haïtiens, Hyppolite ne fait aucun effort pour obtenir des effets réalistes dans ses tableaux. S’il a quelques fois essayé de préciser le détail, il y a vite renoncé. Il aurait été injuste de dire que ses facultés d’observation étaient mauvaises parce qu’il tendait manifestement à la fantaisie de l’expression. Il est en effet rare que le ciel apparaisse dans ses tableaux. Il préfère combler l’arrière plan d’un paysage ou l’espace entre les figures, avec une solide couleur, avec des modifications d’ombres assez vagues ou comme dans « Femme nue », avec un dessin des plus arbitraires » 5.
   Au cours de sa carrière plutôt brève (1945-1948), Hector Hyppolite eut le temps de peindre plus de deux cents tableaux. Ce qui fait à peu près soixante dix tableaux par an. Ute Stebich rapporte ce qui suit : « On raconte qu’il peignit plus d’un tableaux à la fois et qu’il lui arrivait d’en achever plusieurs en une seule journée » 6. Ceci explique que ces toiles n’étaient pas toujours peaufinées. Il ne s’arrêtait pas à ces considérations. L’important pour lui c’était de faire ce qu’il avait à faire, laissant ainsi aux spécialistes le travail d’analyser.
   Cet artiste de gros calibre a toujours fasciné par la magie de sa peinture. Les théoriciens ont fait de lui pendant longtemps le centre de la peinture haïtienne. Lisa Bastien écrivit en 1954 : « Toute étude relative aux peintre haïtiens doit commencer et parfois se terminer par Hector Hyppolite » 7.  Malgré l’effet opéré par la peinture jeune de ce hougan de l’Artibonite, les critiques d’art n’ont pas toujours pu comprendre l’objet de cet enthousiasme. Trop pressé de soumettre la peinture d’Hyppolite aux mêmes critères utilisés pour analyser les autres peintres de l’époque, bien que ce dernier semble très tôt se détacher du lot. Certains historiens vont jusqu’à tenter de le comparer à chaque autre, dans le seul but de produire une lecture de son œuvre.
   L’un des exercices les plus émouvants dans la tentative d’assigner la peinture d’Hector Hyppolite à résidence est celle de Michel Philippe Lerebours : « Une telle réputation (de génial peintre) se justifie difficilement quand on s’en tient uniquement aux valeurs purement esthétiques de l’œuvre d’Hyppolite, œuvre qui peut paraitre bien souvent hâtif et inachevé. Les jeux de couleurs de Castera Bazile plus riches, beaucoup plus nuancés que ceux d’Hyppolite. Le dessin même  n’a ni cette finesse, ni cette précision que l’on découvre chez Philomé Obin, Armand Pierre, Gesner Abellard Castera Bazile ou Rigaud Benoit ; ses faiblesses dues pour une grande part à la négligence et au manque de savoir-faire ne sautent que trop crument aux yeux… » 8. « Hyppolite n’aurait donc pas eu le temps d’aller, comme Rigaud Benoit ou Castera Bazille au-delà des données instinctives et de consolider son métier d’artiste » 9.
Damballah

   Pourtant il aurait été mieux pour lui d’aborder cette peinture, dans sa singularité en tenant compte de ses ambitions, de sa force et de ses limites. Toujours est-il que moins d’une vingtaine d’années après, l’auteur de ces lignes se retrouvait par la force des choses, comme president d’une commission devant organizer l’année Hector Hypolite (2008), où il se mue à chanter le savoir-faire et la créativité de cet artiste exceptionnel. Peut-être que l’art est le terrain par excellence où toutes les injustices sont lavées.
   Il ne fait pas de doute que la peinture d’Hector Hyppolite frappe  par sa profonde construction, inscrite dans une rupture/ignorance de la peinture occidentale. En ce sens Sheldon Williams fit remarquer : « C’est quand on essaie de définir les éléments qui font sa grandeur que la tâche devient difficile. Etait-il un brillant coloriste ? Si l’on se réfère à l’ensemble de son œuvre, la réponse doit être non. La fascination qu’exerce Hyppolite vient de l’atmosphère extraordinaire et presqu’inexplicable qui baigne sa peinture. Jusqu’aux portraits conventionnels des héros de l’histoire d’Haïti en sont touchés. Malgré l’hiératisme des attitudes, les portraits d’Hyppolite ont les mêmes qualités d’atmosphère--- qui permettent de les distinguer non seulement par le style, mais par le sentiment des tentatives similaires des autres peintres haïtiens » 10.
   Sur la même lancée et dans une tonalité plus aigue, Pierre Apraxime a tenté l’explication suivante : « La personnalité d’Hyppolite du point de vue psychique, ses pouvoirs médiumniques autant que ses relations étroites avec le monde surnaturel, expliquent le climat spirituel qui imprègne chacune de ses peintures. Un groupe de personnes réunies par hasard dans un paysage, semblera participer à un rituel divin ; un portrait de femme deviendra une représentation beaucoup plus large de la féminité et de ses forces. Dès lors le sujet de ses toiles dépasse l’interprétation littérale pour se donner des implications mystiques. A cause de ses qualités médiumniques, plus qu’aucun autre peintre haïtien, Hyppolite a pu lier ses images aux courants profonds de l’inconscient. Ses peintures renvoient aux notions de mémoire raciale---il est probable qu’il n’a jamais mis les pieds en Afrique--- et d’inconscience collective. Elles sont comme des métaphores du psychique humain. Considéré seulement du point de vue haïtien, Hyppolite offre un résumé des particularités de la mentalité haïtienne. Ses peintures illustrent en profondeur le syncrétisme qui tient étroitement liées les traditions africaines et les traditions franco-européennes. Œuvres de visionnaires et de mystiques, elles parlent avec autorité, du concept haïtien d’un monde surnaturel qui présente avec le monde physique une indivisible unité » 11.
   Le seul fait par Apraxime de témoigner d’un peu plus de respect, dans sa démarche pour la peinture d’Hypolite  en essayant de l’approcher comme un objet autonome et non comme un dérivé peu réussi d’une autre peinture répertoriée, lui permet d’avoir un meilleur accès à cet univers nouveau.
   L’éclairage sur la personnalité et le statut social d’Hector Hypolite n’est pas sans fournir des codes pour pénétrer la peinture de cet adepte du vodou. En dehors de ces paramètres il peut s’avérer difficile d’expliquer la lumière mystérieuse qui émane de la plupart de ses personnages comme autant d’aura. Prêtre vodou, détenteur d’un pouvoir mystique il se voulait en contact permanent avec les entités spirituelles, qui lui prédisent de quoi demain sera fait. Ceux qui l’avaient fréquenté n’ont pas cessé de répéter qu’il fut détenteur de connaissances mystiques considérables. Mais au-delà de ce cachet mystérieux la peinture d’Hyppolite comporte bien d’autres secrets qui demeurent aujourd’hui encore inexplorés.
   En dehors de l’aspect ésotérique qui imprègne la peinture d’Hyppolite, le rêve y règne sans partage. On ne regarde pas la peinture de ce peintre sans en ressentir un certain sentiment d’angoisse et d’anxiété. Ce rêve enrôbé de mysticisme dégage par moments un magnétisme “Grand-maitre, Le rêve d’un ange12, qui incite le spectateur à se prosterner. Malgré ce désir de construire dans un espace situé dans l’envers du quotidien sensible, la peinture d’Hypolite n’est pas toujours restée sourde aux sonorités réalistes. Quelques fois on y perçoit même une certaine tendance à promouvoir un univers rationnel, dur et sensible, où les personnages prennent des places proportionnelles à leur rôle (Chapelle de Milot).
   L’une des toiles les plus célèbres de l’artiste “La Sirène” est élaborée dans un environnement réaliste, qui dénonce bien chez ce peintre maudit, une capacité sure à suggérer au besoin la troisième dimension.
    Il parait qu’il est le seul peintre qui a vraiment intéressé André Breton au cours de son séjour en Haiti. Mais pourquoi ce choix? Parce que selon André Breton, ses oeuvres “étaient les seules de nature à convaincre, que celui qui les avait réalisés avait un message d’importance à faire parvenir; qu’il était en possession d’un secret” et le secret c’est tout. L’artiste est pourtant “dans l’ignorance de toutes les recettes de “composition” que se transmettent les artistes professionnels et qui tendent de plus en plus à faire dépendre la peinture des secrets de cuisine”. Il n’empèche qu’il réussit ses oeuvres; il atteint “d’une manière spontanée, instinctive à l’équilibre”. Et, ce qui est fondamental, ses peintures “étaient marquées du cachet de l’authenticité totale13
Ogou
   Inscrit dans la demarche globale de Breton, les arguments utilisés pour  justifier le choix ne sont pas vraiment nouveaux.14 Le Surréalisme, dit-il, a trouvé une clef lui permettant d’ouvrir “cette boite à multiple fond qui s’appelle l’homme”. Les meilleurs créateurs détiennent un secret.15 Dans sa conference du 20 décembre au Rex-Théàtre il soutient que “Le peuple haitien en captivité, qui comme aucun autre a eu raison de l’esclavage et des oppressions successives, ne peut manquer de disposer d’un grand secret”. L’authenticité totale identifiée dans la peinture d’Hyppolite est réccurente dans le discours de Breton. C’est une préoccupation esthétique d’importance; il est à la recherche des “rapports entre beauté esthétique et originalité absolue”.16 Ce n’est possible que dans la mesure où l’art est libéré de “toutes entraves”; peu de créateurs véritables y parviennent “réalisant ainsi la demarche de l’automatisme psychique”.17 La peinture d’Hector Hyppolite n’est pas en dehors de cette problématique. Pour Breton, le vodou est le secret d’Haiti, il indiquait ainsi le lieu du secret lors de sa conference  du 20 décembre 1945 “Je n’hésite pas à admettre que ce secret, qui n’est rien moins que celui de son génie (…), reside dans son infrastructure exceptionnelle. N’en déplaise à ceux – ils sont légion partout- qui se montrent honteux de leurs origines et se rapetissent d’autant eux-memes, il me parait évident que le destin de ce pays est inséparable de ses croyances et de ses idéaux séculaires, dès l’instant où ceux-ci se montrent encore si vivaces”.18
   Selon André Breton ce secret ferait partie des “mystères de l’animisme africain”. Et au Centre d’Art, en décembre 1945, Hyppolite est le seul peintre revendiquant le statut de Hougan “Prêtre vodou”,19 qui assure peindre en état de possession, sous la dictée des loas. Ce qui ferait de sa production, celle d’un “médium”, par conséquent pur produit de l’automatisme.20 Il était le seul à détenir un “secret”. Tout compte fait “ l’authenticité totale” de la peinture d’Hyppolite comprendrait en ce qu’elle serait une conjonction de l’automatisme médiumnique, de la primitivité instinctive ( d’un noir monté d’un vodouisant) et de la virginité esthétique de l’artiste.21 De ce fait la peinture d’Hyppolite peut-être reputée, selon Breton, pure alliage. Hyppolite serait à la source ou la source d’où jaillit naturellement un art pur.22Car son oeuvre est celle d’un voduisant et pas n’importe lequel : un homme de moins de cinquante ans, noir aux traits fins,  du beau type guinéen”.23 Autrement dit un hougan africain dont les tableaux manifestent une foi sans limites dans les revelations et les pratiques du  culte “vodou” en même temps qu’une aptitude exceptionnelle à se représenter concrètement les divinités qui y president. Ajouté à cela l’initiation d’Hector Hyppolite a eu lieu pendant un séjour de sept ans en Afrique, plus particulièrement au Dahomey.
   André Breton s’est retrouvé en présence d’un cas tout-à-fait particulier. L’artiste avait plus d’une corde à son arc, en plus de son oeuvre picturale, il était capable de produire le discours, devenu indispensable, dans la promotion de l’art moderne. Ceux qui connaissaient Hyppolite sont unanymes à reconnaître que l’idée de voyage d’initiation en Afrique est une invention de ce dernier. L’intéressé a sans doute entendu parler de voyage d’initiation vodou, il s’en est emparé pour soutenir sa carrière de prêtre vodou. Et Breton est tombé dans le panneau, comme il avait cru au voyage mystique fictif du Douanier Rousseau au Mexique. Autant d’arguments pour apporter de l’eau au moulin de Breton “ La peinture d’Hector Hyppolite apporte, je pense, les premières representations qui aient été fournies de divinités et de scenes vodou. A ce titre seul, en tant que peinture religieuse primitive, elle représenterait déjà un intéret considerable.” Toujours est-il qu’on devrait se demander à quel niveau Hyppolite crée-t-il des icons du vodou. Il est connu dans l’histoire de la peinture haitienne comme l’un des créateurs de vêvê. Dans quelle mesure crée-t-il un art rituel ?”.24
Zaka
   Tout compte fait Breton croit fermement que les oeuvres d’Hyppolite étaient destinées à remplacer les chromolithographies des saints catholiques dans les lieux de culte vodou. De ce fait les tableaux de l’artiste sont lus comme ceux d’un initié, alors que ceux-ci ne sont ni créés dans un cadre rituel, ni consacrés aux pratiques religieuses ne constituent en rien les premières représentations de divinités et de scènes vodou. Cette lecture orientée n’est pas sans occulter les pratiques antérieures de l’artiste, particulièrement la période qui avait permis de le repérer. Pourtant cette période plus que tout autre possède les clés des références sur l’organisation formelle de sa peinture. Elle permet aussi d’expliquer l’évolution graduelle de la palette de l’artiste, mais surtout ses motifs basiques ( les oiseaux, les fleurs, par exemple). La question de pureté chez Breton allait buter sur la notion de synchrétisme christianisme/vodou, très certainement sur le problème des dessins rituels du vodou. Jusqu’à Hyppolite, l’iconographie propre au vodou se réduisait aux “vêvês” (…),25 dessins tracés dans le sol autour du pilier central du péristyle où se déroulent les cérémonies.
   Héritage culturel des Taynos, ces dessins sont obtenus par “ saupoudrage linéaire de farine de blé”, de marc de café, ou de maïs. Les vêvês sont donc propres au vodou haitien. Il soutient la thèse de l’origine précolombienne de ces dessins avancée par Louis Maximilien.26 Il est donc compréhensible que les dessins rituels puissent appartenir au vodou, bien qu’ils ne soient pas d’origine africaine, quand on s’en tient au fait que le vodou en tant que pratiques religieuses ait été créée en Haiti par des esclaves dont les pères furent conduits des côtes d’Afrique, pour être réduits en esclavage en Amérique.
   En choisissant la seule peinture d’Hyppolite pour en exprimer “l’authenticité absolue”, Breton avait fixé les caractéristiques fondamentales de la “peinture haitienne”, ne pouvant exister en dehors du vodou. Ainsi le vodou devenait dans sa logique, la lentille principale à travers  laquelle la lecture de cet art était possible.
Tout compte fait la peinture d’Hector Hyppolite présente une caractéristique particulière, qui pourrait enrichir toute la peinture haïtienne si elle avait été étudiée. Peut-être qu’on n’attendait pas d’un “Hougan” analphabète ce souffle jeune, capable de dynamiser une peinture indigéniste coincée et écrasée sous le poids d’un mimétisme plutôt bavard.
   Il est évident que la société haïtienne des années quarante n’était pas assez tolérante, pour promouvoir et encadrer une peinture portée par des artistes analphabètes issus des quartiers pauvres. Ce qui s’est révélé vraiment catastrophique pour une peinture haïtienne à l’époque en pleine mutation. L’un des enjeux de l’art occidental étant vers le milieu du XXe siècle, de ressourcer une peinture décadente, un autre comportement de l’élite traditionnelle de Port-au-Prince,  vis-à-vis de cette forme d’écriture  aurait pu permettre à Haïti de jouer un rôle fondamental.
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Notes.
  1. Laroche, René. Discours d’inauguration à l’exposition des dossiers de Lucien Price, 19 Janvier 1947.
  2. Selden, Rodman. Renaissance in Haiti ; Popular Painters in the Black Republic, Pellegrini & Cudahy, New York. 1948., p.91
  3. 36ème exposition du Centre d’art; Dessins: Lucien Price. Préface de René Laroche, in Haiti et ses peintre, de 1804 à 1980. Souffrances et Espoirs d’un peuple.,p.38, tome II
  4. Madeleine, Paillère. Hector Hyppolite et Lucien Price, monographie., p. 48.
  5. Selden, Rodman. Renaissance in Haiti “ Unlike any other of the Haitian primitives, Hyppolite makes no effort to achieve a realistic effect in his pictures. If he never went in for precise modeling of details, he has abandoned it. It would be unfair to say that his powers of observation are not good, because his intentions so obviously are in the direction of expressionistic fantasy. Rarely, for, example, does the sky appear in his pictures; he prefers to fill in the background of a landscape or the space between figures with a solid color, with mottlings of indeterminate shape or (as in the “Nude woman”-plate II) with a formalistic design”., p 68-69.
  6. Ute, Stebich. Haitian Art., p 160
  7. Lysa, Bastien. La Pintura Popular de Haiti., p. 222
  8. Michel, Philippe-Lerebours, Haiti et ses Peintres., p. 309
  9. Lysa, Bastien. La Pintura Popular de Haiti., 223
  10. Sheldon, Williams. Vooodoo and the Art of Haiti., p. 62
  11. Appraxime, Pierre. Haitian Painting: The naïve tradition., p. 35
  12. Célius, Carlo A. Langage Plastique et Enonciation Identitaire. L’invention de l’art haitien. Les Presses de l’Université Laval 2007, Québec. Canada., p. 130
  13. Voir “ Genèse et perspective artistiques du Surréalisme” (1941),p. 79-103 dans Le Surréalisme et le Peintre, edition de 1945, op.,cit, et p. 49-82, dans l’édition de 1965 du même ouvrage
  14. La clé et le secret, on les retrouve notamment dans arcanes 17 (1944), pour citer un texte rédigé peu de temps avant le voyage en Haiti. Ils parcourent d’autres écrits comme l’Art poétique (1959) cosigné avec Jean Schuster (Cognac, Le temps qu’il fait 1990) ou “Main Première” (dans Karel Kupka, Un art à l’état brut, Peinture et sculpture des Aborigènes d’Australie, Lausane, La Guilde du Livre, 1962, p. 9-12). Dans “ Genèse et perspective artistiques du Surréalisme” (1941) (op,cit), Breton écrit: “ A vrai dire quelques voix tentatrices s’étaient fait entendre. Le premier peut-être Giordano Bruno, d’ailleurs en possession de la clé dialectique (union nécessaire des contraires) pose les bases même de ce que sera la revendication surréaliste…”; plus loin : “ Le héros du chef-d’oeuvre inconnu de Balzac, qui passe pour tenir de Mabuse le “secret du relief”, qui dans sa peinture rêve de faire circuler l’air véritable autour des corps, bien qu’il ne soit condamné par l’auteur à produire une oeuvre incompréhensible, n’en pose pas moins le principe capital : “ La mission de l’art n’est pas de copier la nature, mais de l’exprimer.” Plus loin Breton souligne que Picasso est en possession d’un secret : “Il est regrettable que celui-ci (Paul Valéry), après trente ans, continue à faire quelque peu mystère de ses intentions primitives et des moyens précis qu’il a mis en oeuvre. On en est réduit à les supposer, à les retrouver par fragments, les grands acteurs et les principaux témoins se confinant dans le silence. Il n’y va pourtant pas d’un de ces secrets dont on a pu dire que révélés ils seraient perdus.”
  15. Thèmes qui a fait l’objet d’une longue discussion entre lui et Claude levy-Strauss.  “Entre nous, explique l’anthropologue, une durable amitié allait commencer par un échange de lettres qui se prolongea assez longtemps au cours de cet interminable voyage, et où nous discutions des rapports entre beauté esthétique et originalité absolue.” Claudes Levy-Strauss, Tristes Tropiques (1955), Paris, Plon,coll, “Terre Humaine, Poche”, 1984,p. 20, l’auteur publie cette correspondance avec Breton en 1993. Breton pose le problème de la beauté, de la création par rapport à la transe et à la rêverie, en abordant la question de la distinction entre le document et l’oeuvre d’art. Il écrit : “Je ne suis pas sûr que la valeur esthétique de l’oeuvre dépende de sa plus ou moins grande spontanéité. J’avais beaucoup en vue, son authenticité que sa beauté et la définition de 1974 en témoigne : “Dictée de la pensée …en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.” Il écrit encore : “ L’oeuvre d’art exige-t-elle toujours cette élaboration secondaire? Oui, sans doute, mais seulement dans le sens très large ou vous l’entendez: prise de conscience irrationnelle, et encore, à quel echelon de conscience cette élaboration s’opère-t-elle? Nous ne serions, en tout cas, que dans le préconscient. Les productions d’Hélène Smith en état de transe ne peuvent-elles pas être tenues pour des oeuvres d’art. Et si l’on parvenait à démontrer que de tels poèmes de Rimbaud sont de purs et simples rêves éveillés, les gouteriez-vous moins? Les relegueriez-vous dans le tiroir aux “documents”? La distinction continue à me paraitre arbitraire.” Claude Levy-Strauss, Regarder ecouter lire, Paris,Plon, 1993, p. 145
  16. Célius, Carlo A. Langage Plastique et Enonciation Identitaire, L’invention de l’art haitien. Les Presses de l’Université Laval 2007. Québec,Canada, p. 132
  17. Roger, Gaillard (“In Memoriam. André Breton et nous”, Conjonction, 103, décembre 1966, p. 5-10), évoquant ce passage, parle d’un appel de Breton à un retour aux sources. Remarquons qu’ici l’orateur, tout en étant fidèle aux convictions du Surréalisme, rejoint tout le mouvement “indigène” tel qu’il se développe en Haiti depuis les années vingt. Il faut toutefois noter la résonance particulière de cette position vis-à-vis des milieux catholique et gouvernemental; la campagne antisuperstitieuse s’éteignait à peine.
  18. (Jusqu’à présent, il n’existe pas une solide biographie d’Hector Hyppolite. La question de savoir s’ilm fut un houngan ou simple adepte du vodou n’est pas tranchée. Sur Hyppolite, on dispose à part le texte de Breton et ceux de Philippe Thoby Marcelin (1948, dans Haiti-Journal et Conjonction) déjà mentionnés de divers articles parus à l’occation de son décès: Anonyme, “Un véritable griot”, Le Soir, 15 juin 1948; Lucien Balmir, “ Pour célébrer un mort”, Haiti-journal, 11 juin 1948; René Belance, “Présence d’Hector Hyppolite”, le Soir, 14 juin 1948; Emmanuel C. Paul,  “Un grand deuil”, Le Soir, 14 juin 1948; Lucien Price,  “Hector Hyppolite est mort”, Conjonction, 16, aout 1948, p 38-39. Ont paru avant sa mort des articles de Brumaire Louis( “Hector Hyppolite”,Studio #3,vol.I,#4, mai 1946,p. 11-12), Louis Maximilien (“Hector Hyppolite”, Aya Bombé,# 5-6, février-mars 1947,p 25 –29 et Selden Rodman (“Hector Hyppolite”, Magazine of Art,vol. 41, January 1948,p.23-25). A partir de 1948, rares seront les écrits sur l’art naïf d’Haiti à ne pas mentionner son nom ou à ne pas commencer son oeuvre. Serge Saint-Jean, qui s’interressait aux relations entre art naïf et vodou (Naif d’Haiti et Vaudou,s,1,.Port-au-Prince, 1972), lui a consacré une petite monographie en 1973 (Hector Hyppolite, une somme, s,1., Port-au-Prince, 1973). Madeleine Paillère a publié pour sa part, en 1975, une étude confrontant son oeuvre à celui de Lucien Price ( Hector Hyppolite, Lucien Price, op., cit), in Langage Plastique et Enonciation Identitaire, L’invention de l’art haitien. Les presses de l’Université Laval. 2007. Québec, Canada, p132
  19. A ce propos, voici ce qu’a écrit  René Passeron en 1975 : “Remarquons qu’à l’instar des enfants et des malades mentaux, ces réactions inspirées,, mediums ou non, qui consacrent non seulement leurs instants de loisirs, mais la totalité  de leur vie quotidienne à leur travail irrépressible, n’ont pas besoin de rechercher, par un effet spécial, l’état de grace qui donnerait enfin la parole à leur spontanéité. Loin de demander l’inspiration, ils en sont les possedés, au sens le plus demonologique du mot. Wölfli, Aloyse comme Séraphine de Senlis, Hisrchfield comme Hector Hyppolite ou Miguel Hernandez, n’ont pas à oublier leur génie.”Ils le laissent s’exprimer. Ils lui vouent leur vie.Le facteur cheval, au cours de ses tournées ramassait les pierres qui devaient s’intégrer à l’architecture onirique de son Palais Idéal. L’obsession créatrice qui, chez les artistes passionnés, fait de l’oeuvre un “monstre à nourrir”, dévore et transfigure la vie quotidienne des artisans inspirés.” René Passeron, Encyclopédie du Surréalisme, Paris,Somogy, 1975, p. 39
  20. Jean-Claude, Blachère (Les Totems d’André Breton…,op,cit., p. 42) signale  que : “Le primitivisme de Breton, sur ce point est aux antipodes de certains traits du primitivisme littéraire du tournant du siècle, où l’homme primitif incarne la simplicité, la naiveté, l’ignorance rafraichissante.” Cependant dans le cas d’Hyppolite, Breton reprend le critère connu de l’ignorance des traditions artistiques académiques pour caractériser son oeuvre; c’est ce que nous appelons ici virginité esthétique.
  21. Célius, Carlo A. Langage Plastique et Enonciation Identitaire. L’invention de l’art haitien. Les Presses de l’Université Laval. 2007. Québec, Canada, p. 133
  22. Cette consideration n’est pas sans rappeler les propos tenus par Breton au sujet du “Grand poète noir”, Aimé Cesaire: “Je retrouve ma première réaction toute élémentaire `le découvrir d’un noir si pur.” André Breton “Un grand Poète noir dans André Breton et André Masson,Martinique Charmeuse de Serpents, op, cit.,p. 98
  23. Célius,  Carlo A. Langage Plastique et Enonciation Identitaire. L’invention de l’art haitien. Les Presses de l’Université Laval. 2007. Québec, Canada, p. 134
  24. Souligné par Célius, Carlo A.in Langage Plastique et Enonciation Identitaire. L’invention de l’art. Les Presses de l’Université Laval. 2007. Québec, Canada, p.135
25.Breton ne cite pas Louis Maximilien dans le texte consacré à Hyppolite, il en avait fait la reference dans la conference du 20  décembre : “Admirable abuse que les mystères de la religion indienne, celle de la terre nouvellement occupée, se soient fait un chemin à travers les vêvers du culte vodou, comme l’a mis en lumière le Dr. Maximilien et il me parait hors de doute après avoir vu, à quelques mois de distance, l’indien Navajo et le houngan, d’une main qui obéit incontestablement à la meme commande, “Tirer la farine’.” Il est vrai que Louis Maximilien a nuance ses  propos en suggérant d’autres sources d’influences possibles sur l’invention du corpus des dessins rituals. Il faut souligner  que la these de la provenance précolombienne a été critiquée notamment par Charles Fernand Pressoir ( Débats sur le  créole et le folklore. Afriques grises ou Frances brunes? Langue,, races, religions et culture populaires, Port-au-Prince, Imprimerie de l’Etat,1947) et Emmanuel C. Paul (l’ethnographie en Haiti; ses initiateurs, son état actuel, ses taches et son avenir, Port-au-Prince, Imprimerie de l’Etat, 1949).

mardi 23 août 2011

Regards Critiques

Refus, vérités et autres Ombres du Prince

Par Jean Emmanuel Jacquet                                                       
Critique                                                                                                                      le Matin 03 Aout 2011

Vient de paraître au mois de Juillet 2011, dans la collection Lettre Terres de l’éditeur “La Chasseur Abstrait“ basé en France, le premier recueil de poèmes de Prince Guetjens, “Ombres Taquines”.

   Un long poème d’une centaine de pages déroulé autour d’une série d’inquiétudes - la recherche de la vérité, les défis de la conscience, la célébration du corps, l’acceptation de la tradition ou la quête de nouvelles formules – qui bousculent le réel de l’homme.
Prince Guetjens tente, dans ce recueil de poèmes, de réfléchir sur des thèmes qui ont longtemps encombré sa pensée. Au travers de sa poésie, chemine un discours périssable, mais assuré, sur les valeurs du temps, sur le stress total qui sombre l’individu dans une situation de non-retour. Comment donc dépêtrer sa pensée et son corps des rigueurs de la ville ? Comment le rendre maître de ses pulsions, de ses désirs, lui permettre de décider de ses propres armes, de ses propres luttes ?
Dans une écriture plutôt sommaire, par rapport à celle de ses traités critiques sur l’art, Prince Guetjens arrive à nous offrir une poésie unique. Ici, le langage est plutôt transitoire. L’individu est frappé d’ombres qui le guettent, qui l’aliènent. Il est confronté à des défis et son cœur est fragilisé devant les phénomènes inconnus qui se présentent à lui.
Ma conscience
Est une lueur d’incertitude
Qui prélude l’entracte
  L’auteur fait appel à la conscience pour éviter les excès de zèle. Son poème appelle à une réappropriation de la mémoire. Survoler chaque âge pour corroborer ses pas. C’est une poésie de l’apparence, une poésie de l’épiphénomène où chaque phrase peut servir de slogan, de vision à l’insubordonné. La mémoire est gardienne de l’autarcie. C’est d’elle que doit naître l’idéal de l’homme.
Dans Ombres Taquines, les options sont multiples. L’individu peut choisir de s’évader en silence, tout en se rapprochant de ses ombres stériles, ou se moquer des contingences de la vie. Prince Guetjens présente sa perception de l’horizon incertain. Tout vient selon lui de pulsions et d’inconnues vérités. Ce sentiment inouï qui nous hante coïncide souvent avec la magnificence de la nuit. Et quelquefois, les mélodies de la mer arrivent comme les seules réponses aux incertitudes.
La mer invente des mélodies
Pour enrichir la symphonie du vent
Chuchotée par les vagues molles
De la nuit endormie
Pareille à l’envers de l’inconnu
   L’auteur fait des remontées dans le temps, dans l’histoire, pour saisir la geste des ancêtres. Toute sa certitude repose sur les blessures de nos héros qui reviennent à nous comme une marque d’identité et nous fragilise. La violence est perpétuelle et ses jeux sont délétères à mesure que les hommes et les choses trouvent de nouvelles cohabitations.
Prince Guetjens, tout en priorisant la poésie des textes sur leur déduction, nous présente un argumentaire rigide sur la vérité. Entre cette dernière, en tant que telle, et sa quête continue, il n’y a qu’une enjambée.
Enfant de l’art, militant de l’amour
Rêveur en quête de l’essence du beau
Qui croit que la vérité n’est autre
Que la recherche de la vérité
    De temps en temps, l’auteur d’Ombres Taquines revient à la réalité. Il rôde la chimère sociopolitique des autochtones, bref, de tous les citoyens qui, depuis les vagues de la mer, rêvent du pays de l’autre. Ce phénomène de boat-people qui devient un état d’âme, une façon de voir la vie, comme si elle devrait avoir pris corps sur l’autre. A Miami, la ville ambitionnée, parce que la plus proche.
Il fait noir
Les batteries du soleil
Sont tombées
La mer a déjà vomi
Son indigestion de boat-people
Sur le sable de Miami
   Prince Guetjens qui vient de terminer un essai sur une tranche importante de l’histoire de la peinture haïtienne : La Scission de 1950, la mise en échec de la peinture populaire haïtienne au Centre d’Art Haïtien, ainsi qu’un roman : Et l’amour aussi, arrive à exhiber la difficile corrélation entre le vrai et ce qui paraît l’être en effet. Ce boniment complexe sur le vrai et le vraisemblable nous renvoie à d’autres réflexions sur le comportement de l’homme face à la vérité.

samedi 20 août 2011

Regards Critiques

La Victime Accusée
Le second roman de Jackson Rateau
par Prince Guetjens
                                                                                                  Haiti Liberté 13 Juillet 2011                

Point n’est besoin de soutenir que pour pondre un bon roman, une belle histoire s’avère indispensable. Mais est-ce suffisant ?
            Toute la trajectoire de l’histoire du roman est jonchée d’exemples qui tendent à soutenir le contraire. Certains ont même opté pendant une certaine période de ne point s’embarrasser d’une histoire. À ce stade, j’aimerais adresser un clin d’oeil aux initiateurs du Nouveau Roman ; expression due à Emile Henriot, qui l’employa dans un article du Monde, le 22 mai 1957, pour rendre compte de La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet et de Tropisme de Nathalie Sarraute. Pour l’essentiel les tenants de ce courant contestaient le roman de type balzacien. Leur démarche était influencée par des romanciers étrangers (Kafka, Virginia Woolf, Stendal), mais aussi par L’Étranger d’Albert Camus et La Nausée de Jean-Paul Sartre. Leur dénonciation fondamentale visait le personnage traditionnel, « reflet d’une confiance surannée dans la nature humaine ». Cette proposition a fortement marqué le roman en Europe, sans parvenir à changer radicalement le cours des choses, puisque l’histoire dans le roman traditionnel s’est raffermie vers la fin du XXè siècle.         
            Je dois reconnaître qu’il est peu évident, quand on ne dispose pas de recul nécessaire de pouvoir présenter une oeuvre quelconque, sans glisser dans l’encensement, la méchanceté ou la condescendance. Et quand on est confronté à un problème d’éthique (c’est le cas pour moi, puisque j’ai émis des suggestions de correction pour l’un des chapitres de ce livre), le mieux serait peut-être de prendre ses distances, mais comment résoudre l’équation quand on n’a pas ce choix.
            D’emblée, il faut reconnaître que l’écriture du La Victime Accusée suit un cheminement en dents-de-scie. Le sujet plutôt banal de cet émigré revenu en Haïti après vingt-cinq ans, qui par un heureux hasard se retrouve millionnaire, se trouve aussi être infecté par le mal du siècle, et qui sans aucun scrupule décide de contaminer des femmes, n’a rien d’original. Cependant la manière de dire, ajoutée aux figures résultantes d’une certaine maîtrise des matériaux pourraient largement compenser.
            Après trois mois d’exploits sexuels, les dégâts causés par cet homme sont énormes, voire désastreux. C’était comme planifié, la bourrasque qui emporterait les jeunes de ce pays, telle la moindre particule de poussière.
            Dans ce pays tiers-mondiste, pauvre, très vulnérable quant à la propagation de ce mal, elles sont cent mille fois ciblées, exposées, ces jeunes filles.
            Il ne fait pas de doute que les outils utilisés n’étaient pas suffisamment aiguisés pour rendre, au-delà même de la volonté de montrer, l’œuvre dans toute son acuité. Ce qui confirme qu’entre concevoir et rendre la paroi est plutôt étanche.
La Victime Accusée ; un drame humain qui se déroule dans un milieu peu accueillant où, conseillés par la misère, hommes et femmes se jettent aveuglément dans une lutte acharnée pour la survie. Tiraillés par l’usure du temps et les violences du quotidien, ils s’abêtissent au fur et à mesure, au point de ne plus mériter de l’humanité. Convaincu de la fragilité de sa plume sur ce terrain rocailleux, l’auteur adoucit par moments.
            Comme toujours, les arbres et les plantes constituant la petite forêt endormie surveillaient le petit château majestueusement perché le haut du tertre. Le sol drapé d’ombres disparates reçoit la lumière du soleil qui se déployait tel un souffle magique. Le cri d’un coq qui s’égosillait non loin entre les arbres se confondait avec le ronflement de la jeep qui s’arrêtait tout à coup près de la grande barrière. Comme un roulement de tambour, un roucoulement de ramiers alterné avec le chant d’un rossignol provenant du fourré, animait toute la cour, tandis qu’un peu plus proche du château, à l’arrière, un oiseau charpentier toquait sur un palmier ; son bec, tel un burin d’acier, fouillait très fort à toutes les heures pour terminer la besogne de la besogne […], déjà prête pour la prochaine pondaison.
Écrire un livre, c’est s’exposer en vue d’accéder à la postérité. C’est gravir les marches de la reconnaissance collective. Mais c’est aussi prêter le flanc.
Jackson Rateau, à travers ce livre, s’est colleté à un tabou, et les tabous ayant la vie dure sont de nature exigeante, quant aux moyens de les approcher. Le livre est ponctué de lieux communs, de problèmes de syntaxe, de figures de style ou même de fautes d’orthographe dues, sans doute, au fait qu’il n’a pas été soumis à une maison d’édition dotée de professionnels, capables d’y mettre la dernière main en vue de l’améliorer. Les images sont de moins en moins convaincantes, parfois essoufflées, souvent pauvres. Ce qui résulte sans doute de l’organisation des mots qui les ont vu naître.Toutefois l’histoire tient la route.
            Ce deuxième roman ne montre pas l’auteur sous son vrai jour. Je sais qu’il dispose de meilleures cordes à son arc. La Victime Accusée entre d’emblée dans l’histoire de la littérature haïtienne, quitte à être dans l’anti-chambre de l’écriture. J’attends avec impatience le prochain livre de Jackson Rateau, pour confirmer tout le bien que je pense de lui comme écrivain.    
            La Victime Accusée est un roman de 164 pages, publié à compte d’auteur chez Trafford Publishing, USA, Avril 2011.
            La Victime Accusée, un roman qu’il faut à tout prix.

Regards Critiques


BROTHER, I’M DYING 
Un roman d’Edwige Danticat
Par Prince Guetjens
                                                                                                         Haiti Liberté 29 Juin 2011
Entre la réalité sensible et le rendu poétique la distance semble se rétrécir, ou mieux, disparaître, quand elle est courtisée par la galanterie d’un artiste. Il doit, à n’en pas douter, exister mille manières de lectures de la mémoire de famille de l’écrivaine Edwige Danticat, mais de mon point de vue, quel que soit l’angle choisi pour l’appréhender, ne pas tenir compte de sa magie à fondre en une même troisième ces deux entités, pourtant, par moments antagoniques, ce serait gommer une part importante de la créativité de l’oeuvre.
Salué par une assez large frange de critiques aux Etats Unis d’Amérique et ailleurs, particulièrement par des plumes crédibles tapies dans l’ombre de The New York Times Review, USA Today, Vogue, The Boston Globe, Los Angeles Times Book Review, The Washington Post Book World, San Francisco Chronicle comme le meilleur livre de l’année. Brother I’m Dying offre le profil d’une œuvre sincère. Sursaut autobiographique d’une sereine fidélité le livre d’Edwige Danticat tente surtout d’être l’expression d’un vécu, qui envahit l’espace du lecteur par jets successifs parfois en dents-de-scie, un peu comme pour lui laisser le temps de respirer avant de replonger.
L’Auteure du best-seller américain The Dew Breaker soumet à travers ce livre le récit émouvant d’une vie remplie d’événements simples, souvent ponctuée  d’inattendues. Et son mode opératoire laisse peu de place à l’artifice ou à la pitié. S’écartant des clichés du monde occidental vis-à-vis du Vodou, Edwige suggère cette réalité avec une simplicité qui écarte d’emblée toute tentative de l’enrober dans une représentation banale. Elle a une manière bien à elle de dire l’absence de dichotomie véritable entre des entités opposables d’une même culture, qui met en déroute des idées fixes, malgré leur tendance à durer ; cet oncle protestant, qui prie le Dieu des Chrétiens et consulte en même temps le Hougan qui lui administre des medsin fèy, est d’une singulière fraîcheur.
Brother, I’m Dying est construit dans un univers animé par des personnages attachants, des êtres gonflés d’émotion qui rient, souffrent, chantent, enfin qui vient. Des personnages qui ont accompagné cette petite fille jusqu’à l’âge adulte comme cette tante, cet oncle et ce père. Prise dans l’euphorie de raconter ce merveilleux teinté de réel, la plume s’est laissé aller à parler du lieu de l’adolescente qu’elle n’est plus depuis longtemps. Dans la même veine, elle n’a pas pu résister de tomber dans le panneau fataliste d’une « Haïti incapable de prendre soin de ses enfants sans le support des voisins » ; cet oncle qui déteste, on ne peut plus, les Etats-Unis d’Amérique et qui finit par s’y émigrer pour échapper aux difficultés du quotidien dans son pays, en dit long.
Brother, I’m Dying est un long poème d’amour dédié à la vie. C’est un éclairage sur le parcours chaotique d’une femme extraordinaire, d’une écrivaine, d’une amoureuse de la vie montrée dans des circonstances plutôt exceptionnelles. L’obstacle du recul n’a pas empêché à l’auteure de conter sa trajectoire avec une verve et dans une rare clarté. Ce qui nous pousse à prendre refuge sous le manteau d’Edgar Morin argumentant dans Amour, Poésie, Sagesse la thèse selon laquelle l’être humain indépendamment de sa culture produit deux langages ; un rationnel et un autre symbolique. Dans le livre d’Edwige parfois ces deux langages sont juxtaposés, mêlés, qui semble vouloir nous forcer à pousser la logique jusqu’à Fernando Pessoa et parler de deux êtres en chacun de nous.
Avec Brother, I’m Dying Edwige Danticat a confirmé en 2007 tout le bien que la critique avait dit d’elle à la parution de The Dew Breaker, The Farming of Bones, Krik ? Krak ! et Breath, Eyes, Memory. Il faut souligner aussi que Brooklyn College vient de faire le choix de Brother, I’m Dying, comme lecture imposée de l’année académique 2011-2012 pour les étudiants qui arrivent à l’automne. C’est un hommage rendu à cette plume remarquable, mais aussi à notre pays Haïti.
Brother, I’m Dying, c’est un livre qu’il faut lire absolument.