lundi 24 octobre 2011

Regards Critiques

Citizen Kane d’Orson Welles
L’un des meilleurs films de tous les temps

Prince Guetjens
Critique de Cinéma                                        Haïti Liberté, New York 26 oct. 2011

Ces vingt derniers siècles ont vu l’émergence et la consolidation de différentes formes d’expressions artistiques avec leurs contingences de théories, de discours et d’oppositions. Vers la fin du dix-neuvième siècle, Daguerre et Niepce ont mis en place les premières structures pour la photographie moderne. C’est dans la même foulée qu’est né le Cinéma ; connu sous la dénomination de 7ème art, mais qui au fond, est l’unique médium capable de réunir tous les autres supports de création.
Dès le début du vingtième siècle, malgré les turbulences de toutes sortes, entre autres les deux grandes guerres, que traverse l’Europe particulièrement et ensuite le reste du monde, le Cinéma va quand même connaître des avancées extraordinaires. Et l’un des fleurons les plus représentatifs de cet art de création collectif  est à n’en point douter Citizen Kane.
Citizen Kane est un drame américain de 119 minutes en noir et blanc sorti pour la première fois aux USA le 1er mai 1941. En 2002, il est élu par 108 réalisateurs et 144 critiques de par le monde consultés par la revue britanniques Sight and Sound du British Film Institute, comme le meilleur film de tous les temps.
L’histoire retrace le parcours de Charles Foster Kane, qui meurt dans son manoir de Xanadu après avoir prononcé dans un ultime sursaut le mot Rosebud, en laissant ensuite échapper sa boule de noël. Alors qu’il fut encore un enfant, il dût quitter l’attention de sa mère ; héritière d’une mine d’or pour recevoir l’éducation d’un financier, en vue de pouvoir gérer sa fortune future. Devenu un grand patron de presse, le directeur du journal Inquirer épouse la nièce du président des USA et espère ainsi faire une carrière politique, qui s’interrompit au moment où on apprend qu’il trompe sa femme avec une cantatrice de seconde main. Sa femme demande et obtient le divorce et lui, il convole en justes noces avec la chanteuse qui finit par le quitter par la suite. Il finira ses jours dans la solitude.
De la première à la dernière scène du film le narrateur est pratiquement omniprésent, pour veiller aux grains et guider les spectateurs. Dès la pancarte portant l’inscription No Trepassing (Interdiction d’entrer), qui pourtant sera transgressée par la caméra d’Orson Welles en franchisant les grilles de Xanadu pour atteindre la fenêtre de Kane, et par un champ contre champ, contourne cette barrière de verre pour s’inviter dans la vie d’un Kane déjà mourrant. Nous retrouverons ce narrateur dans toute son adresse dans la conclusion le film, au moment où la caméra dessine des arabesques au milieu d’un univers fait d’objets écartés par Kane pour mettre en exergue une luge dont se saisit une personne de la maison pour la livrer aux flammes. A ce moment-là l’œil de la caméra aura le temps de se rapprocher de l’inscription Rosebud gravée sur le jouet que la chaleur des flammes va faire disparaître, au fur et à mesure, qu’il avait prononcé en mourrant.
Orson Welles utilise comme aucun autre réalisateur avant lui le flashback pour raconter l’histoire. Le flashback ; cet outil connu sous le nom d’analepse en langage technique, est un procédé d’inversion qui, dans la continuité narrative fait intervenir une scène s’étant déroulée préalablement à l’action en cours.Toute l’histoire est expliquée dans ce bar où la seconde épouse de Kane tente de noyer son chagrin dans des verres de vin.
Il utilise avec la même dextérité la technique appelée profondeur de champ. Dans la scène qui retrace un moment de l’enfance de Kane, la séquence débute avec des images du gamin en train de jouer dans la neige avec sa luge. Ensuite, un travelling arrière suggère que l’œil qui regarde se situe depuis l’intérieur de la maison. À partir de cet instant, les activités du jeune Kane sont observées en arrière plan, tandis que les adultes discutent de ses lendemains, et les deux plans sont nets et clairs.
Les Plongées - Contre-plongée sont également mises à caution dans la réalisation de ce film qui continue plus de soixante-dix ans après comme l’un des meilleurs films de toute l’histoire du cinéma. Dans des scènes comme ; la demande de mutation de Jedediah Leland (Joseph Cotten) à Kane après la débacle électorale, et celle de la mise en pièces de la chambre après le départ de Suzan (Dorothy Cormingore), la lecture n’aurait pas été aussi concise sans les plongées –contre-plongée comme manière de dire.
La réalisation conduite par Orson Welles bien qu’il s’est taillé le premier masculin (C.F. Kane), est exceptionnelle. Le jeu des acteurs parfait. La photographie, au-delà de toute ambition. La musique faite sur mesure. On dirait que les dieux se sont ligués pour réussir le film du 20ème siècle.
Malgré les ans Citizen Kane a gardé toute sa fraicheur. Il n’existe pas un seul véritable cinéaste à travers le monde qui n’ait pas vu ce classique qui a mis en exergue autant d’innovations cinématographiques. J’ai déjà vu ce film plus d’une dizaine de fois, mais je n’ai pas fini de le voir.
Citizen Kane d’orson Welles est un film à revoir indéfiniment.

mardi 18 octobre 2011

Regards Critiques

Donoma 
Le premier long-métrage de Djinn Carrenard
Edge Atlantic Films Festival de NYU 2011

Prince Guetjens
Critique Cinéma                                                                                      Haïti Liberté 19 oct 2011                                      
L'affiche de Donoma
Le cinéma, c’est le cas pour les autres disciplines artistiques, évolue dans une certaine autonomie – dépendance par rapport aux autres formes d’expression, avec ses normes, ses outils, sa tradition et ses codes. Cet espace de création qui paraît facile d’accès aux novices en quête d’argent rapide et de renommée locale n’est pas moins l’un des corps de métiers qui font de la perfection, l’un de leurs critères de base de la créativité. On ne fait pas du cinéma sans avoir vu beaucoup de bons films ou sans savoir ce que c’est exactement.
Donoma, c’est l’histoire croisée de la destinée de trois femmes se déroulant parallèlement dans des univers créés à partir des pans du réel, récupérés par l’artiste. Il y a d’abord l’histoire de Chris , une photographe n’ayant jamais eu de relation amoureuse et qui décide de faire une expérience ; celle de se mettre en couple avec le premier inconnu qu’elle aura rencontré dans le métro, en l’occurrence Dama. Et dans cette aventure il y aura une seule règle de vie commune : interdiction de parler. Ensuite, il y a l’histoire d’Analia, enseignante dans un lycée professionnel, constamment harcelée par Dalcio, l’idiot de la classe.
L’affrontement entre l’enseignante et l’élève va laisser place à une attirance physique qui débouchera sur une histoire passionnelle. Enfin, celle de Salma, une adolescente un peu atypique coincée par la maladie de sa sœur Soraya et des problèmes existentiels inhérents à une jeune femme de son âge. Elle se réveille un jour avec des stigmates du type christique aux poignets. Pourtant, elle ne croit pas en Dieu. On peut même dire qu’elle a un profond rejet pour la religion c’est pourquoi elle n’arrive pas à expliquer la présence de ces lignes mystérieuses. Elle croisera sur son chemin un jeune homme profondément croyant et pratiquant Rainé.
Mon premier constat en quittant la salle, après avoir visionné Donoma, c’est que le film ne laisse personne indifférent, encore même. Donoma, c’est en quelque sorte l’expression de l’audace et de la détermination d’un jeune directeur de film qui décide de tailler sa place dans un milieu et dans un genre artistique où l’expérience est donnée comme valeur indispensable. Le film a suscité un enthousiasme extraordinaire au sein d’un public, composé d’étudiants en partie, réuni à la salle de NYU (New York University) dans le cadre de ce festival en Eté dernier. À la manière des faits bruts, se déroulant de manière non linéaire dans la vie quotidienne, sans artifice, ni maquillage, le film est assumé comme une action juvénile, par moments incontrôlable.
de gauche à droite le réal Djinn, Emilia Derou et Salomé Blechman
Le réalisateur haïtien Djinn Carrenard a joué sur l’effet de l’ombre pour compartimenter les meilleurs aspects de son film. Par moments elle distille un peu de blues dans les histoires, sert de cloison entre les angles de vision, ou encore participe du contraste qui équilibre les pensées trop claires des personnages.
Dans ce premier long-métrage, il a placé la barre à une altitude – qu’à mon avis – il aura des difficultés à atteindre et évoluer au cours de la carrière qu’il vient d’inaugurer.
Donoma est le produit de l’ambition d’un jeune réalisateur haïtien Djinn Carrenard résidant en France, qui vient de réussir le pari de réaliser un long-métrage sans aucun moyen financier et de façon indépendante. Ce diplômé de l’école du cinéma n’est pas à son coup d’essai puisqu’en 2008, il réalise un court-métrage à New York « White Girl in her panty », et il filme l’enthousiasme américain entourant la candidature de Barack Obama. Porté par la ferveur que charrie le court succès de ce court-métrage, il rentre en France avec l’objectif de contourner les obstacles du système, et réaliser un long-métrage par ses propres moyens, c’est-à-dire presque rien cent cinquante (150.00) Euros.
En compagnie d’autres amis, il commença à travailler sur le projet BluePrintGuerilla, en reprenant l’expérience du groupe Guerilla film-maker, qui consistait pour des réalisateurs américains au cours des années’80 à tourner des films avec les moyens du bord, parfois inadéquats. C’est la preuve que même avec un maigre budget un réalisateur qui sait ce qu’il fait peut toujours sortir une œuvre de qualité.
Ce film réalisé en 2009 par Djinn Carrenard, avec la collaboration non rémunérée d’une équipe de comédiens, sans un rond, a mérité l’année d’après d’une vie en salle nocturne et sélectionné par le groupe L’ACID pour le festival de Cannes 2010.
L’expérience de Donoma devrait pousser le public haïtien à s’interroger sur un certain cinéma produit par des amateurs, sans métiers ni imagination, qui pousse à tous les coins de rue, un peu plus dans la diaspora de New York et de Florida qu’en Haïti, sans doute à cause des facilités technologiques. Aucun de ces navets n’a caressé la prétention de bénéficier d’une vraie salle et d’un auditoire ayant fait le déplacement pour le voir. C’est toujours étalé dans les bacs des revendeurs de seconde main à côté des autres objets de peu de valeur qu’on les retrouve au juste prix.
Nous souhaitons que d’autres Donoma viennent rehausser l’éclat du cinéma haïtien en terre étrangère ainsi qu’en Haïti. Ainsi à côté des Raoul Peck, des jack Rock, des Claude Mancuso, des Arnold Antonin, des Moïse Camille, des Richard Sénécal pour ne citer que les plus doués, d’autres réalisateurs comme Djinn Carrenard viendront enrichir notre patrimoine artistique.