Haitian Movie Award 3rd edition
Une parodie somme toute amusante
À défaut d’aptitude véritable à réaliser des films capables de se frotter à ce qui se fait dans l'univers réel du cinéma et forcer le respect de leurs collègues du monde entier, à quelques lieux d’Hollywood, des « cinéastes » haïtiens recroquevillés autour de leur nombril organisent leur propre Movie Award afin de s’octroyer des prix pour des travaux qui ne méritent guère qu’on s’y attarde.
Une fois de plus nous avions été la risée des grands réseaux de l’industrie artistique du monde. Non satisfaits de rapiécer des plus ou moins échecs à consommation locale certains bricoleurs - je n’ose parler de réalisateurs - résidant aux Etats-Unis d’Amérique, conduits par Frantzson Saintilien (Frantz Design) ont organisé, le samedi 23 Avril dernier, à l’hôtel JFK International leur troisième édition de Haitian Movie Award, pour s’auto proclamer cinéastes et s’octroyer des prix.
D’emblée on pourrait se dire qu’il n’y a pas de quoi être, à ce point, choqués puisque ces genres d’activités ne mobilisent qu’une infirme partie de la communauté haïtienne. Mais quand cela se passe à New York ; l’un des pôles culturels les plus importants du monde moderne, on est en droit d’être triste quant à la perception qu’une pareille activité aura laissée sur notre culture de ce côté-ci de la planète.
Il est important de souligner le fait que, seule une petite minorité de gens se proclamant du cinéma haïtien, de très loin la moins représentative avait pris part à ces joutes. Les raisons de cette absence tapageuse des grosses pointures haïtiennes dans ce genre artistique plutôt exigeant reste à explorer. Cette parodie baptisée Haitian Movie Award, somme toute amusante a réuni plusieurs dizaines d’invités ; des acteurs, des actrices, des « réalisateurs », des « scénaristes », des « promoteurs », deux ou trois travailleurs de la presse pour assurer la propagande et des spectateurs.
Je n’ai pu m’empêcher pour être crédible de mettre la plupart de ces qualificatifs entre les guillemets compte tenu du fait que mes doutes persistent, quant aux capacités réelles de ces messieurs à réaliser un film ou écrire un scénario, ou même assurer la promotion d’un produit de ce type. Et leurs productions ne me convainquent guère. Toutefois ils ont compris assez tôt que la communauté haïtienne des Etats-Unis d’Amérique et du Canada n’était pas trop exigeante, et qu’il leur suffisait d’accoler deux ou trois idioties bout à bout pour en faire un navet, ensuite organiser une pareille plaisanterie, avec la complicité de deux ou trois journalistes, engagés à cet effet pour snober les gens et le tour serait joué.
Une chose est d’aligner une série de sous-produits que le commun des mortels a peine à prendre pour un film et d’en tirer parti économiquement. Une autre, c’est de vouloir se prendre au sérieux, au point de prétendre à la postérité. Alors que le « maître » de cérémonie n’arrêtait pas de chanter les louanges des organisateurs pour avoir permis au cinéma haïtien de bénéficier de cette vitrine d’exposition. La plupart des invités se plaignaient de l’aspect creux de l’événement, et aussi de l’absence fracassante du cinéma haïtien véritable.
C’est n’est pas faux qu’une pareille manifestation pourrait offrir une certaine visibilité aux efforts réalisés jusqu’ici, dans la mise en place des balises pour camper une industrie du cinéma haïtien. Je parle d’une industrie véritable, mais non d’une association de quelques réseaux de raquetteurs à l’affût d’argent facile, qui n’hésitent pas à enfoncer davantage le 7è art haïtien dans la fange, en « réalisant » des « films » qui viendront fragiliser à chaque fois nos acquis dans ce domaine, et entacher la valeur réelle du patrimoine artistique haïtien au musée de la postérité. Je parle d’une industrie dotée de structures adéquates pour encadrer le cinéma haïtien encore au stade de balbutiement. Une industrie où chacun serait à sa place et qui valoriserait les métiers du cinéma, qui sont de plus en plus galvaudés dans nos espaces de production. Une industrie qui miserait davantage sur la compétence, ce qui déboucherait sur le respect des droits des acteurs, actrices, caméramen, perchistes, casting girl, scénariste, éclairagiste, réalisateurs, et autres.
Une manifestation de ce genre pour avoir, l’envergure souhaitée devrait pouvoir montrer le cinéma haïtien sous ses meilleures coutures. Quitte à museler une part de l’ego des organisateurs. En agissant ainsi, ils auraient inspiré du respect et grandi aux yeux du public. Comment parler d’un Haitian Movie Award en excluant les meilleurs. En dehors de Ricardo Lefèvre que j’ai rencontré au restaurant de l’hôtel,à quelques heures du lancement, très peu d’acteurs et de cinéastes haitiens de valeur, connus du grand public avaient fait le déplacement.
Un Haitian Movie Award organisé dans l’intention de promouvoir le cinéma haïtien, et non pour satisfaire platement les petites ambitions d’une petite clique de paresseux, devrait pouvoir réunir certaines célébrités haïtiennes ou même étrangères qui travaillent dans le cinéma de chez nous.
L’éclat de la fête aurait été renforcé si certaines personnalités tel ; Raoul Peck, réalisateur de L’homme sur le quai (1993), Lumumba (2000), Haïti le silence des chiens (1994), Sometimes in April (2005), etc. Arnold Antonin qui a signé plus d’une trentaine de documentaires et de fictions dont : Piwili et le Zenglendo (2003), Le Président a-t-il le Sida (2006), Les Amours d’un Zonbi (2009). Richard Sénécal Barikad (2002), I Love You Anne (2003), Cousines (2005), Vanille au Chocolat (2007) et We Love You Anne (2009).
Je pourrais citer d’autres réalisateurs, des acteurs et actrices dignes d’intérêts comme Jean-Claude Bourgeolly, réalisateur de (Sonson); actuel président de l’Association Haïtienne des Cinéastes, Claude Mancuso, Jacques Roc, Moïse Camille, Catherine Hubert, Réginald Lubin, Chantale Pierre-Louis, Jessica Généus, Rosadèle Joachim, Jimmy Jean-Louis, Djo Roré, etc....
Est-ce vraiment sérieux de parler de Haitian Movie Award, quand autant de cadres y ont brillé par leur absence ? On peut toujours ne pas être d’accord sur la démarche esthétique d’un Mancuso dans un film donné. On peut ne pas partager l’orientation idéologique de telle ou telle scène d’un film de Bourgeolly. Mais on ne peut pas leur reprocher leur incapacité à régler un éclairage, ni la mauvaise exécution d’un travelling ou d’ignorer ce que c'est qu'un plan-séquence, encore moins leur incapacité à bien placer l’élément déclencheur dans un scénario.
Ma démarche étant entre autres de contribuer à l’émancipation de l’art haïtien partout où il y a des créateurs qui osent se jeter à l’eau. Mon vœu le plus cher serait que, lors de la prochaine édition, le cinéma haïtien soit vraiment mieux représenté. Les films des organisateurs ne seraient peut-être pas récompensés du premier coup, mais le Haitian Movie Award aura atteint un niveau de crédibilité telle, que les reflets rejailliront sur le milieu culturel tout entier.
(Paru dans Haiti Liberté de New York du mercredi 4 mai 2011)
Prince Guetjens
Critique d’art
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