vendredi 9 décembre 2011


De l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti
Comment revendiquer notre contribution à la modernité
4ème part
Prince Guetjens
Critique d’art
JJanus de Jean Yves Jason
     Tout le problème semble se résumer à travers cette courte  mais profonde interrogation. D’autant plus profonde qu’elle explique les conditions d’apparition de ce fossé créé entre plusieurs groupes de personnes au sein d’une même société en fonction de leur nuance épidermique ou de leur appartenance sociale.
     Cette approche exclusive née de l’équation mentionnée plus haut : Blanc = Colon = Riche = Chrétien = Civilisé = Européen opposée à  Noir = Esclave = Pauvre = Vodouisan = Sauvage constitue les parois du moule que nous devrions casser pour en construire un autre qui tiendrait compte de la volonté de politique d’un groupe de dirigeants de conduire le pays vers le développement.
   Pour jeter le pont sur ce en quoi consiste cette contribution, faisons un tour dans la société coloniale pour mieux comprendre la dimension de la plaie qui ronge aujourd’hui encore notre corps social.
   Pour cerner la question de couleur et de classe dans toute sa complexité, il faudrait remonter les sentiers de l’histoire sociale et économique du pays. Dès sa fondation en tant que nation, au lendemain de la guerre de l’indépendance (1791-1804), la jeune république noire créée par des anciens esclaves noirs, des Taynos et des métis nés de l’union de mères esclaves et de pères blancs propriétaires, se retrouvait en proie à une série de problèmes restés aujourd’hui encore non résolus. À l’instar d’un pays en retard d’une discussion sérieuse entre ses fils, Haïti avance à pas de tortue sous le poids du lourd fardeau du sous-développement et des préjugés de couleur.
Jouda de Jean Yves Jason
    Dans ce jeu de mauvais goût où chacun fait de son mieux pour ne pas toucher aux sujets qui fâchent l’histoire politique, culturelle, sociale et économique du pays accuse un déficit somme toute considérable. Ainsi toutes les activités opérées dans cet environnement où les rapports sont ainsi définis demeurent faussées à la base. En de pareilles conditions, il s’avère plutôt risqué pour toute analyse de pouvoir cheminer en toute objectivité à travers ces digues de censure. Les rares tentatives de renverser les barrières sont heurtées à une froide indifférence, qui traduit un refus catégorique de s’ouvrir à un autre son de cloche.
   Les sociétés humaines sont plutôt attachées au passé et ont tendance à s’opposer aux innovations certes, mais il revient aux élites de mettre tout leur poids dans la balance pour changer les choses dans le bon sens au profit de la communauté. Le Nord et le Sud des USA durent s’affronter entre eux (guerre de sécession) pour permettre à la plus grande puissance militaire du monde actuel d’accéder à l’âge industriel. Cette résistance chez nous définit en quelque sorte la configuration des êtres et des choses dans notre espace social. Elle entame la moindre velléité de modifier les structures coloniales encore existantes.
    Malgré la spécificité propre d’Haïti dans la région des caraïbes. Elle ne pas moins l’histoire et la culture des peuples de la région. Les cultures qui commencent à participer au processus d’évolution de la zone – à partir du XVIIè siècle moment essentiel pour comprendre la caraïbe d’hier et d’aujourd’hui – sont organisées et intégrées dans un système économique. Il y a eu de très fortes migrations dans la zone en provenance d’Afrique et d’ailleurs « Les gens se déplacent parce qu’il existe une économie qui commande ces déplacements. Arrivés ici, ils eurent pour fonction de travailler et d’organiser la vie de la plantation » (Yolanda Wood 1995). Dans ce cadre nouveau, la situation caraïbéenne devenait plutôt complexe. Il a été introduit dans la zone une économie qui débouche sur une société de plantation. En ce sens on fit appel à des gens (nos grands-parents conduits en esclavage), capables de travailler et de faire fonctionner la machine.
    Ce n’est point par l’Espagne que la colonie de plantations fut introduite dans la caraïbe. Mais par des pays qui ont atteint un niveau de développement capitaliste plus avancé qu’elle comme la France, l’Angleterre, la Hollande. L’Espagne ne s’adaptera que bien plus tard. La plantation correspond donc à un moment de l’économie capitaliste. Elle établit des relations de commerce entre la métropole et les colonies antillaises. Ce rapport crée un circuit économique entre la production agricole et l’industrie. Aussi, les matières -premières pour une industrie qui se développe en Europe. D’où l’impossibilité d’un développement industriel dans notre région à cette époque.
Sans-titre # 1 de Jean Yves Jason
    Contrairement à la méthode utilisée en Argentine ou dans d’autres colonies de la région où il est question de colonie de peuplement, où l’économie capitaliste n’affichait pas une brutalité aussi exacerbée. Dans les colonies de plantation, le régime de travail est tourné vers une rentabilité illimitée, qui passe par une extrême rigueur dans ce système d’exploitation de l’homme par l’homme.
    Ce survol dans l’histoire de la région des caraïbes s’avérait indispensable pour corser ma thèse selon laquelle notre blocage au niveau du développement technique et humain prend racine dans l’histoire collective des peuples de la caraïbe vers cette époque. D’où l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti afin de réintroduire chez nos enfants le sentiment d’appartenance qui nous fait défaut depuis quelque temps, condition essentielle pour une réévaluation - promotion de l’homme Haïtien. Ceci n’est possible que par le biais de l’Ecole. Une Ecole rénovée, réadaptée conçue pour former des Haïtiens.
    Il ne fait pas de doute que la contribution haïtienne à la modernité est énorme. Cette question qui est souvent abordée par les intellectuels et les universitaires du monde entier n’est pourtant pas à l’ordre du jour dans les milieux locaux. Notre situation aujourd’hui ne devrait pas introduire chez nous une gêne de dire qui nous sommes et ce que nous avions fait jusqu’ici. Bien au contraire, elle devrait pouvoir servir de prétexte pour inciter à rectifier le tir et prendre la bonne direction.

De l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti
L’un des rares denrées encore exploitables au profit de la Nation
3è partie

Prince Guetjens
Critique d’art                                                                               Haïti Liberté NY, 30 Nov. 2011
Vèvè Legba
    Dans la conclusion du second moment de ce papier consacré à l’Urgence de promouvoir la Culture en Haïti, j’ai démontré avec force détails que l’un des éléments clefs dont la culture participe à l’élaboration est, sans coup férir, la mentalité, qui à son tour, se charge d’informer les différents paramètres comme ; les habitudes, les coutumes, les idées et les valeurs. J’ai aussi rappelé pourquoi le capital humain premier est  la culture.
   Ce n’est pas juste la culture au premier degré, mais plutôt ce qui constitue l’essence du vécu d’un peuple, pris en charge par des élites oeuvrant à l’émancipation et la valorisation d’une identité nationale et culturelle forte. Dans le cas bien précis du peuple haïtien, il est prépondérant, compte tenu des circonstances originales de sa fondation, de prendre en compte ce qui fait sa complexité.
     Pour cela nous allons devoir interroger la conjoncture géopolitique de la région de la Caraïbe au cours du XVIIIe siècle. C’est sans doute à partir de là que nous pourrions tenter de trouver des éléments de réponses à la question : Comment exister en tant qu’Haïti aujourd’hui, sans pouvoir revendiquer la contribution d’Haïti à la modernité ?
   L’histoire de la cruauté de la servitude noire dans la région caraïbéenne et particulièrement dans la portion occidentale de l’île pour justifier la primauté de l’économique, puis la révolte victorieuse des opprimés et leur opiniâtre volonté de constituer une nationalité à leur image dont la défense leur paraissaient impliquer la totale mise à l’écart de l’ancien colon
   L’événement à la base, de cette révolution d’esclaves jamais perpétrée avant dans l’histoire de l’humanité, se réalisa le 6 décembre 1492, date tragique qui marqua l’entrée des Haïtiens dans l’histoire. Disons plutôt date impie qui consacra la dépossession des Taynos et annonça simultanément leur le début du premier génocide d’un Etat Européen en Amérique.
Vèvè Grann Brijit
    Pourtant ce nouveau moyen de s’enrichir au détriment de l’autre connaîtra son apogée au tournant du siècle des Lumières quand le type colonie de peuplement institué par l’Espagne, un pays féodal au moment où il a colonisé l’Amérique sera remplacé par la colonie de plantations par la France et l’Angleterre qui disposaient de moyens et de technologies adéquats pour faire venir dans la région de nouveaux moyens de production.
     Dans son ouvrage sur l’Histoire de l’art de la Caraïbe le docteur Yolanda Wood pose le principe de la nécessité de regarder l’histoire de la région à travers notre propre lentille idéologique, pour éviter de participer à la consolidation de la volonté de l’ancien esclavagiste de garder son hégémonie sur les peuples de cette partie du monde. Cette démarche entreprise plusieurs décennies plus tôt par des  intellectuels comme Alejo Carpentier, Jacques Stephen Alexis, Thomas Guillén, pour construire une base de connaissances à partir de la région est consolidée sur le plan artistique et historique par le travail de ce chercheur émérite.
    La force de travail gratuite (les hommes et les femmes ramassés sur les côtes d’Afrique de l’Ouest) versée par les nouveaux maîtres dans la région pour rendre opérant le passage du système de peuplement au système de Plantation vont créer une polarisation qui influence aujourd’hui encore les anciennes colonies, en particulier Haïti.
    L’équation, : Blanc = maître = riche = civilisé = chrétien = européen opposée à Noir = esclave = pauvre = sauvage = vodouïsan = africain, née de l’exploitation de l’époque influence aujourd’hui encore le vécu au sein de la société haïtienne. C’est si vrai que dans la mentalité des gens, il paraît un parfois douteux que des petits-fils de nouveaux libres puissent disposer de certaines richesses. Ce qui n’est pas le cas pour les descendants des anciens libres en Haïti.

    J’ai sans doute erré un peu à travers ces différents couloirs de l’histoire, en essayant d’identifier l’obstacle qui nous empêche d’accéder à ce sursaut de fierté et d’auto appréciation indispensable à la mise en exergue de nos valeurs. Mais, il m’a semblé que ce détour n’était pas de trop pour mieux avancer vers l’objectif défini au début, dans les premières lignes de cet article aux ambitions démesurées.