Une historique de l'art haïtien
À la faveur des travaux de Alejo Carpentier, de Yolanda Wood relatifs à la période tayno et ceux de Jean Fouchard relatifs à la colonie de Saint-Domingue, il devient tout à fait évident qu’une histoire haïtienne de l’art doit débuter au moins avant l’indépendance ou même avant la période coloniale. Il est vrai qu’il existe à nos jours très peu d’écrits sur la période tayno, mais il n’en demeure pas moins que les traces de cette culture soient assez visibles dans la culture haïtienne d’aujourd’hui.
Cette race d’hommes et de femmes à peau cuivrée que le conquistador espagnol Christophe Colomb avait pris pour des Indiens en 1492 quand il débarquait en Amérique, parce qu’il croyait aborder les Indes, étaient en réalité des Taynos, des Arawaks et des Caraïbes. Il n’en demeure pas moins vrai que certains historiens continuent aujourd’hui encore à utiliser le vocable indien ou amérindien pour designer les premiers habitants qui ont donné le nom Ayiti (Haïti) à l’île. Sans savoir qu’à chaque fois il font remuer le poignard dans une plaie encore pas cicatrisée.
Cette ethnie a été retracée pour la première fois vers l’an 600 après J.C dans les zones de l’Orinoco et dans l’Amazonie (Yolanda Wood 1998). Ce groupe ethnique de cultivateurs qui vivait de la culture et de la pêche pratiquait l’essartage, qui consistait à bruler la terre après chaque récolte afin de la rendre plus fertile -- dans leur mode de cultiver la terre.
Contrairement à leur croyance après chaque opération la terre devenait plus aride. Ainsi ils durent avancer à chaque fois un peu plus vers l’Est en quête d’autres terres cultivables et finirent par arriver au bord de la mer. Ensuite ils construisirent des canoes en bois fouillés pour regagner les îles. Ils se répandirent sur les îles de Cuba, d’Haïti et de Porto-Rico. Cette race qui vivait paisiblement sur leur île de rêve a été forcée de travailler dans les mines d’or pour remplir les coffres de l’Espagne. N’étant pas habitués à ces genres de travaux ils se révoltèrent et ils furent massacrés par milliers. Sur une population évaluée à plus de deux millions d’hommes et de femmes, eurent la vie sauve les dix mille combatants qui avaient gagné le maquis sous les ordres du cacique Henri. Le massacre des Taynos est le premier génocide connu, conduit par un pays européen sur le continent américain.
(Extrait de "La Scission de 1950", un essai écrit par Prince Guetjens)
En placant les données de Jean Fouchard dans sa propre perspective d’analyse, Lerebours soutient qu’à Saint-Domingue la vie culturelle et artistique est d’abord hésitante, avant de s’affirmer immédiatement après la guerre de sept ans (1756-1763) pour se maintenir au moins jusqu’en 1791, date de la révolte des esclaves1. Mais d’une manière générale, le climat d’agitation et d’incertitude qui s’abat sur la colonie à partir de 1789 n’a en rien contrarié la floraison artistique. L’activité artistique est telle dans la colonie qu’elle a suscité l’ouverture de “galéries”. Il existait des écoles de beaux-arts. Le théatre par le biais des décors a largement contribué à renforcer ce gout pour les beaux-arts 2. Parmi les genres en présence le portrait figurait en première ligne. Du fait de la compétition entre les grands planteurs dans la société domingoise caractérisée par l’ostentation, ces derniers ont raffolé le paysage représenté dans les oeuvres.
“A Saint-Domingue la tendance à la fin du xviiiè siècle a été d’imiter servilement la France, alors qu’en France la mode était de plus en plus à l’exotisme. Un tableau (propriété du Musée National de Port-au-Prince représentant Monsieur de Bereau à sa campagne à Saint-Domingue) daté de 1733 et portant au dos la mention: “Bally Pinxit” et [sic] permet de rejeter la thèse indigéniste qui veut que le paysage haitien ait été complètement ignoré avant 1930” Au delà des territoires artistique et culturel, l’actualité politique et militaire a également retenu l’attention. L’organisation sociale et politique, le prestige, la richesse ainsi que la force militaire de la colonie sont vantés. Ce qui n’est pas sans flatter l’amour-propre des fils de la noblesse.
“Ce goût perdurera après l’indépendance. Si des gravures ou des dessins de l’époque pouvaient témoigner de la guerre de sept ans, ils témoigneront aussi de la révolution haitienne, et après l’indépendance, serviront à relater des événements comme la mort de Pétion, la destruction des dossiers de l’Etat du Sud, l’entrée de Boyer au Cap, etc”4. On y retrouve aussi les thèmes mythologiques dans le vocabulaire des révolutionnaires et des grandes personnalités haitiennes de l’époque, ce qui est loin d’être le cas pour la peinture réligieuse (chrétienne), contrairement à son rayonnement dans les pays latino-américains voisins.
A en croire Cabon et Malenfant “…les domingois ont été des libres penseurs, plus tournés vers les plaisirs de ce monde que vers le mysticisme chrétien”5. On ne trouve pas à Saint-Domingue les somptueuses constructions religieuses, comme dans nombre de pays d’Amérique latine où l’art baroque règne en maître. N’empêche que dans Les Affiches Américaines (média d’information écrit de l’époque) on relève quelques notes se rapportant à la décoration de telle ou telle église paroissiale.
Selon Jean Fouchard des esclaves “libres de couleur” et certains esclaves ont pris part aux activités artistiques dans la colonie de Saint-Domingue. En y ajoutant leur âme, ils ne manquèrent pas d’infléchir les goûts en posant les bâlises d’une nouvelle esthétique. Ces artistes vont naturellement assurer la continuité au lendemain de l’indépendance. Malgré le déficit d’informations sur la vie artistique sous l’Empire de Jean Jacques Dessalines (1804-1806), il est évident que ces artistes étaient présents.
Ce sont encore eux qui travaillaient pour Alexandre Pétion (1807-1818) et pour le roi Henry Christophe (1807-1820). Les documents remontant à cette époque prennent le contre pied de la conclusion de Thoby Marcelin à leur sujet. Lerebours refute que “le fait de promouvoir les arts eut pu [les] détourner[…] de leurs soucis de dirigeants”, comme le prétendait Marcelin.
Encore même, “il apparait aussi de plus en plus clair qu’intervenant en faveur des arts, ils trouvaient un moyen de présenter le peuple haitien comme digne de civilisation, et que surtout ils répondaient aux aspirations profondes de leurs sujets ou concitoyens. Nous ne devons jamais perdre de vue qu’à la base de la République de Pétion et du Royaume de Christophe ont été deux aristocraties aux visées politiques parfois différentes mais qui n’ont eu pour tout modèle et source d’inspiration que la société coloniale où la vanité des uns et des autres avait bien souvent permis à des artistes de faire fortune”6.
Le grand nombre d’écoles et de cours d’art pendant toute la première moitié du XIXè siècle témoigne que le goût prononcé pour les beaux-arts ne s’est pas démenti au cours de cette période. On y remarque de la part des responsables de l’Etat une volonté d’intégrer l’enseignement des arts plastiques et la musique au programme des lycées et écoles publiques. Toutefois le paiement de l’indemnité réclamée par la France, acceptée par le gouvernement de Jean-Pierre Boyer (1818-1843) en vue de la reconnaissance de l’indépendance du pays entravera les actions du régime, qui se voit contraint de se désintéresser progressivement de la vie artistique et de lui enlever son support. Jouissant de l’appui du public certains artistes parviendront à s’organiser au point d’attirer des artistes de l’extérieur , “dont l’activité sur le territoire a été réglémentée par une loi” 7; celle du 30 juin 1817.
(Extrait de "La Scission de 1950", un essai écrit par Prince Guetjens)